Nintendo peut-il encore inventer sans Yamauchi?

Il y a presque dix ans, en mai 2002, Hiroshi Yamauchi, troisième président de Nintendo et initiateur des activités vidéoludiques de la firme, prenait sa retraite. L’homme, surnommé « Mother Brain » par ses employés, était connu pour son caractère bien trempé, son entêtement et ses prises de risque couronnées de succès. Nintendo lui doit sa prospérité, et notre microcosme sa survie : sans la FAMICOM, pur produit des exigences de Yamauchi, le jeu vidéo n’aurait pas survécu au krach de 1983…

Président de Nintendo dès 1949, Yamauchi n’intéresse notre monde qu’à compter de la toute fin des années 70. Acteur de premier ordre de l’industrie du divertissement électronique pendant un quart de siècle, Yamauchi a contribué a le modifier à jamais : excepté les fanboys Sony et Microsoft (en anciennement Sega 😉 ) les plus acharnés, les joueurs du monde entier reconnaissent en effet que le jeu vidéo ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans Nintendo. Big N, c’est évidemment des licences phares telles que Mario, Zelda et autres Pokémons, mais c’est aussi (et surtout?) une liste impressionnante d’innovations techniques, reprises presque systématiquement par la concurrence.

Cependant, en observant le parcours de Nintendo depuis que la forte personnalité de Hiroshi Yamauchi a été remplacée par un conseil exécutif dirigé par le terne Satoru Iwata, on ne peut s’empêcher de penser que l’âge d’or de la firme nippone est bel et bien révolu, les petits gars de Kyôto se contentant du strict nécessaire en terme d’innovation et d’inventivité… Certes le succès économique est toujours présent (même si rien n’est éternel…), mais est-ce vraiment le plus important?

Revenons sur le quart de siècle « Yamauchi » : dès la fin des années 70, et grâce au regretté Gunpei Yokoi, Nintendo invente la console portable et les jeux casuals avec les Game & Watch. Dans la foulée, le génial Yokoi crée ce qui deviendra un standard : la croix directionnelle (D-pad), implémentée pour la première fois sur le G&W Donkey Kong. Cette invention est emblématique de la politique de Nintendo à cette époque : on imagine un concept, et on crée le matériel adéquat pour permettre au joueur de profiter de l’expérience ludique imaginée. Le jeu avant tout, en somme.

La FAMICOM est une émanation de cette doctrine : permettre aux joueurs de s’adonner aux hits de l’arcade à domicile! Et s’ils désirent se faire un Mario dans le métro? Inventons la Game Boy! Le quart de siècle Yamauchi sera marqué par d’autres innovations techniques qui sont autant de révolutions ludiques : boutons latéraux sur la manette SNES, stick analogique sur celle de la N64… Au niveau logiciel, l’inventivité de Mario et ses potes ne démérite pas non plus : on peut sans hésitation affirmer que Super Mario 64 invente le jeu en 3D. Ni plus, ni moins.

Après 25 années de pur génie créatif (et ludique !), Nintendo semble marquer le pas avec la Game Cube, qui n’offre aucune innovation notable, et dont les hits annoncés (Mario, Mario Kart, Zelda,…) sont vertement critiqués, malgré d’indéniables qualités. Or, le lancement de la Game Cube correspond plus ou moins au départ de Yamauchi. Certes, ce dernier était encore à la tête de la firme lors du développement de la GC, mais il paraît évident que son successeur annoncé a bien plus participé à l’élaboration de ce nouveau produit que le vieux chef. L’époque de la Game Cube, c’est aussi celle de la Game Boy Advance, une console que j’apprécie particulièrement mais dont il faut reconnaître l’indigence en matière d’innovations (même le rétro-éclairage, pourtant déjà présent sur la Game Gear, devra attendre la GBA SP…).

Bien qu’un peu plus puissante que la PS2, la Game Cube perdit la bataille qui l’opposait à cette dernière, et ce pour une raison qui me paraît évidente : sans inventivité, la petite Nintendo ne pouvait tout simplement pas faire revenir les éditeurs tiers qui avaient déserté à l’époque de la N64… Pour ma part, je considère que l’esprit créatif de Nintendo n’existe plus depuis cette époque.

J’entends déjà les hurlements : « Et la NDS? Et la Wiimote? ». Il est vrai que suite à l’échec de la Game Cube, la firme kyôtoïte se devait de réagir, ce qu’elle a fait de fort belle manière, en proposant de nouvelles interfaces de jeu, vraiment inédites. Faut-il y voir un retour en force de l’inventivité Made in Nintendo? Je ne le crois pas. Explications.

J’ai écrit un peu plus haut que la politique de Nintendo sous Yamauchi, c’était « le jeu avant tout », ce qui semble normal pour une entreprise qui, de la fabrication de jouets, passe à la programmation de jeux. Le lancement des différents hardware témoigne de ceci : le D-pad accompagne Donkey Kong, la FAMICOM les jeux d’arcade à la maison, le mode 7 de la SNES F-Zero et Pilotwings, le stick analogique Super Mario 64… Mais quid des consoles suivantes? La Game Cube propose lors de son lancement japonais Luigi’s Mansion, Super Monkey Ball et Wave Race : Blue Storm, soit trois suites sans véritable originalité et dont le but à peine voilé est de faire montre des capacités techniques de la console, supérieures à ses concurrentes. Nintendo a pensé un support, et y greffe des jeux avec plus ou moins de bonheur : la pensée de Yamauchi est totalement inversée, pour s’aligner sur celle de la concurrence.

Le problème avec le conformisme, c’est qu’il est plus facile de l’adopter que de s’en défaire. Depuis que Nintendo a abandonné ses principes fondateurs pour rentrer dans une logique « à la Sony » (qui était auparavant une logique « à la SEGA » et qui deviendra une logique « à la Microsoft »…) fondée avant tout sur la mise en avant du hardware et de l’image sociale que la possession de ce dernier renvoie, la firme a perdu de sa saveur, la Wii et la DS ne faisant pas exception : toutes les présentations de la Wii se sont concentrées sur la manette hybride, tandis que la console était accompagnée d’un démo technique (Wii Sport), d’un FPS classique dans lequel l’implémentation de la reconnaissance de mouvement laissait à désirer (Red Steel), ou bien encore d’un portage du deuxième Zelda de la Game Cube…

Ce faisant, la Wii n’a fait que suivre la voie tracée par la NDS, qui s’est offerte au public sans véritable jeu : une démo technique (encore!) basée sur Metroid et un portage injouable de Super Mario 64, entre autres « perles ». Seul Wario Ware Touch! sortait un peu la tête de l’eau à l’époque. Et encore, on sentait que le système de jeu du premier opus avait été adapté « à l’arrach' » pour la DS… La Dual Screen devra attendre une année entière et la sortie de New Super Mario Bros., petite merveille faisant absolument l’impasse sur l’aspect tactile, pour bénéficier d’un premier bon jeu. Par la suite, les hits s’enchaîneront sur la portable et partageront avec NSMB le dédain des fonctions tactiles (a quelques rares exceptions près comme Elite Beat Agents et les Dr Layton…)! La Touch Generation? Juste un slogan publicitaire…

La Wii s’avère au final être, tout comme la NDS, un pétard mouillé, une révolution qui prend l’eau… Honnêtement, je n’ai pas réussi à trouver un seul bon jeu sur la Wii qui n’aurait pas pu se passer de la Wiimote et du Nunchuk! Les hits de la console (les Marios, MadWorld, Oboro Muramasa, Metroid Other M, DKC Return, No More Heroes… sans parler des portages type RE4 et Zelda TP!) peuvent tous se jouer sans ces artifices, et pour certains l’expérience serait encore meilleure à mon sens. La Wiimote n’aurait pas du être l’élément constituant de « l’expérience Wii », mais un accessoire vendu en bundle avec les Lapins Crétins!

Mais pourquoi tant de haine et quel rapport avec Mother Brain? Eh bien il s’agit là tout simplement d’un gros ras-le-bol d’un admirateur du Nintendo de la grande époque, celle ou le démon Yamauchi ne laissait pas une grappe de petits commerciaux faire la loi au sein de l’entreprise. Car j’ai le sentiment qu’aujourd’hui la maison Nintendo va à vau-l’eau, entre un Miyamoto qui se perd dans des expériences plus que décevantes (je pense notamment à Pikmin et Wii Music), un service publicitaire qui nous vend non plus des jeux mais une image et des équipes de développement qui surexploitent les licences à la mode, tout en négligeant des pépites comme 1080° ou F-Zero… A mon grand désespoir, Nintendo devient une société commerciale comme les autres, qui perd petit à petit l’estime que j’avais pour elle! La « Différence Nintendo », c’était le plaisir ludique avant toute autre considération, la conviction manette en main. Mais cette différence s’estompe petit à petit…

Et pour l’avenir? Rien de bon à l’horizon mon capitaine! L’effet 3D de la 3DS n’est pas si révolutionnaire que ça (je me rappelle des bons vieux Rad Racer sur NES et Jim Power sur SNES, qui se jouaient une paire de lunettes en carton sur le nez!), et s’est déjà planté en beauté (vous avez dit Virtual Boy?)! Si Mario Land 3D et Mario Kart 3D n’arrivent pas à donner une véritable utilité à cet artifice, le destin de la 3D dans le jeu vidéo risque d’être funeste, comme ça a été le cas pour les fonctions tactiles (et ce n’est pas plus mal!)…

Et la Wii U? Franchement, le coup de la manette avec écran, Nintendo l’a déjà fait avec le combo GBA/GC! Vous avez déjà oublié? C’est normal… Je me rappelle avoir fait l’expérience sur Final Fantasy Crystal Chronicles (considéré comme le pire épisode d’une saga responsable – au sens pénal! – de FFXIII !), et, mis à part afficher la carte du niveau et proposer un Mario Kart du pauvre avec des chariots, l’idée ne servait à rien! Au dernier E3, Big N n’a pas soumis de démo jouable aux journalistes, ce qui n’augure rien de bon. En tant que fanboy Nintendo repenti (depuis que mon travail me permet d’acheter toutes les consoles du marché arf! arf!), j’ai ri à gorge déployée en voyant le fake de Sony concernant Killzone 2 en 2005. Mon rire était bien plus jaune en constatant que Nintendo ne vaut désormais pas mieux…

Bob Dupneu

Par ailleurs

J’attends malgré tout le nouveau Zelda avec une impatience non dissimulée. Le moustachu saura-t-il me donner tort quant à l'(in)utilité de la Wiimote? Je ne demande que ça! Pour mieux se préparer à retourner en plaine d’Hyrule (ça fera deux fois cette année…), rien de tel que la lecture du hors-série IG Mag consacré à la série qui fête ses 25 ans cette année. Comme d’hab’, c’est un bel ouvrage, complet et agréable à lire!

4 comments

  1. Je partage ton opinion sur pas mal de points. Notamment pour dire que Yamauchi était avant tout un vrai visionnaire, plus qu’Iwata.
    Mais c’est aussi un peu une vision de vieux gamer 🙂 que je comprends parfaitement quand on est né, comme toi et moi, à l’époque de la grandeur ultime de Nintendo. Une ère dorée qui n’existe plus dorénavant. Alors on édulcore aussi peut être plus facilement certains passages, comme les débuts pas si fringants de la N64, ou encore l’abandon du partenariat avec Sony pour le lecteur CD qui a permis à ce dernier de créer son plus gros concurrent, la Playstation !

    Mais je suis bien d’accord pour dire qu’autrefois, Nintendo savait penser aux jeux avant tout. Dans un sens, le gameplay était prioritaire par rapport au hardware. Aujourd’hui, c’est un peu la charrue avant les boeufs : l’innovation matérielle est bien là, mais Nintendo peine à convaincre avec. Bien sûr il y a eu des excellents titres, mais pas suffisamment. Je ne suis pas trop d’accord pour dire que la DS n’a pas été exploitée, le double écran dont 1 tactile, c’était à mon avis un coup très intelligent. La preuve étant que Sony suit aujourd’hui cette voie avec la Vita.

    Qui sait, la Wii U nous réserve peut être de bonnes surprises quand on voit que cette fois ci la plupart des éditeurs tiers ont déjà tous annoncés travailler avec le papa de Mario

  2. C’est sûr que tout n’est pas noir pour le futur du jeu vidéo en général, qui ne s’est d’ailleurs jamais si bien porté qu’en ce moment ! Mais ça me fait un peu de peine de voir que Nintendo devient une entreprise « comme les autres » … en même temps, il semblerait qu’avec la génération actuelle de consoles, les japonais sont globalement à la ramasse, tandis que les occidentaux (américains principalement 🙁 ) ont repris la main après l’avoir perdue à l’époque du krach.
    C’est un peu dommage pour ceux qui, comme moi, apprécient le style japonais, mais c’est le prix à payer pour avoir les merveilles qui s’enchaînent depuis quelque temps! A qui le tour après ça? Chine, Corée, Inde, Ukraine …?

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