Le syndrome FedEx

En quelques années seulement, le Meuporg (aussi connu sous l’acronyme MMORPG…) est devenu un véritable phénomène de société, échappant ainsi aux No Life patentés dont il était la chasse gardée pour mieux se retrouver dans les pubs avec Chuck Norris et sur les plateaux des émissions de télé qui se sont données pour mission de faire prendre conscience au monde de la dangerosité intrinsèque de la chose vidéoludique… Du coup, tout ludophile connaît aujourd’hui quelques mots du vocabulaire particulier de ce type de jeu, même ceux qui, comme moi, n’ont pas succombé aux chants des sirènes d’Azeroth (je ne sais même pas s’il y a des sirènes dans WoW 😛 ). Ainsi, looter, leecher ou encore farmer sont, sous leur aspect barbare, des termes assez fréquents dans notre microcosme et dont le sens n’échappe plus à personne.

Dans tout le champ sémantique du Meuporg, une expression a particulièrement attiré mon attention : la « quête FedEx ». Faut-il vraiment présenter FedEx, compagnie de transport de fret connue de tous et à cause de laquelle Tom Hanks s’est retrouvé seul sur une île à bouffer des noix de coco et à discuter avec un ballon? Étant donné la célébrité de la marque FedEx, le sens même de l’expression « quête FedEx » semble couler de source : porter un objet d’un point A à un point B, souvent pour obtenir un nouvel objet qu’il faudra apporter en C, le schéma se reproduisant jusqu’à l’obtention finale d’une récompense quelconque (la quête de l’épée Biggoron dans Zelda OoT en est un bon exemple). Honnie de nombreux joueurs, la quête FedEx est pour les développeurs une façon simple et peu coûteuse d’augmenter un chouïa la durée de vie de leur création, mais reste souvent décriée en raison de son manque d’ambition et d’originalité.

Mais le système de la « quête FedEx » est-il exclusif aux RPG? Pour répondre à cette question, il faut réfléchir un instant à la nature même de ce type de quête. Pour ma part, je crois que la « quête FedEx » ne vise pas seulement à rallonger la sauce en aguichant le joueur avec un objet quelconque : elle est une façon pour les développeurs de pousser l’utilisateur à explorer le monde élaboré en long, en large et en travers. Quoi de plus frustrant en effet pour un artiste que de proposer une oeuvre construite avec cohérence, pensée dans ses moindres détails, si le spectateur ne fait que la survoler? Les créateurs d’univers vidéoludiques cherchent en permanence, poussés en cela par des joueurs de plus en plus exigeants, à mettre sur pied des univers tout à la fois crédibles et fantastiques : on peut comprendre à ce titre qu’ils ressentent le besoin de nous prendre par la main afin de présenter le travail accompli dans ses moindres détails.

La « quête FedEx » ne serait dès lors plus une simple ruse de concepteur, mais bien un élément réfléchi du système de jeu. Cette réflexion m’est venue en constatant que de l’un des meilleurs jeux de l’année 2011, RAGE, essuyait un certain nombres de critiques négatives en raison de sa structure elle-même : quelques endroits dans le jeu servent en effet de hubs (plate-formes de correspondance en bon français 😉 ) dans lesquelles le joueur récolte items et infos avant de partir pour des missions plus ou moins longues/essentielles/intéressantes. Ce système de jeu entraîne logiquement un certain nombre d’aller-retour, ce qui peu sembler rébarbatif, surtout lorsque cette structure est utilisée dans un mauvais jeu.

Cependant, je trouve ce système tout à fait approprié dans le cas de RAGE : l’univers dépeint est un monde post-apocalyptique, une zone de non-droit dans laquelle quelques groupes essaient de bâtir une nouvelle civilisation, comme autant d’ilots dans le chaos ambiant, empli pour sa part de dangers divers et variés. Chacun de ces ilots est un monde à part, unique, qui déborde de vie et semble auto-suffisant : remplacez le désert par la mer, les buggies par des bateaux et le malabar génétiquement modifié par un gnome en tenue verte, et vous obtenez Zelda the Wind Waker, l’un des meilleurs Zelda, mais aussi l’un des plus décriés.

Dans Zelda TWW comme dans RAGE, le joueur se retrouve confronté à un monde désertique et uniforme de prime abord, mais au fur et à mesure de l’aventure et des rencontres effectuées, il se rend compte de la richesse du jeu, un même endroit lui paraissant différent en fonction de l’évolution de ses aptitudes et de sa perception d’un univers élaboré avec soin et sens du détail. De la même façon, il est plus aisé de se rendre compte des progrès effectués et de la montée en puissance de son avatar en repassant plusieurs fois aux mêmes endroit et en combattant les mêmes ennemis, qui sont de plus en plus facile à battre. Enfin et surtout, le simple fait d’obliger le joueur à explorer plusieurs fois les mêmes endroits tout en changeant le cheminement et la disposition des personnages – ennemis ou non – en fonction de l’évolution de l’aventure, donne à ces lieux de la profondeur et de la crédibilité : il ne s’agit plus de parcourir au pas de charge quelques niveaux, mais bien d’apprendre à connaître un monde ouvert et régit par sa propre logique.

En définitive, il m’apparaît même que ce principe de la « quête FedEx » – explorer un jeu par d’incessants aller-retour – est présent dans certains des jeux que je préfère : Yakuza 4 utilise ce système de monde évolutif en fonction de l’avancée du scénario – le « petit » quartier de Kamurochô dévoilant peu à peu sa richesse et la multitude de détails qui le composent, tandis qu’on doit à la série des Metroid, dont le système de jeu a été repris par les Castlevania depuis Symphony of the Night, l’idée d’un monde ouvert dès les premiers instants de jeu mais pleinement accessible qu’à l’issue de l’aventure.

Alors certes, RAGE n’a pas la richesse d’un Zelda ou d’un Metroid, ni même celle d’un Yakuza, mais il n’en avait pas l’ambition : avant tout Doom-like (j’suis un vieux, je connais pas les FPS !) très efficace, et bien plus ludique que la moyenne des jeux actuels, il ne cède pas à la facilité d’un simple enchaînement de niveaux et se dote d’une véritable âme. J’ai toujours considéré que les films et les jeux vidéos différaient principalement sur un point : un film, c’est une bonne histoire qu’on insère dans un univers, tandis qu’un jeu vidéo, c’est un bon univers qu’on nous fait visiter sous prétexte de raconter une histoire. Alors que la production actuelle lorgne de plus en plus du côté d’Hollywwod pour trouver l’inspiration, les géniteurs de RAGE n’ont pas renié leurs origines. RAGE est un jeu, un vrai, et non un film interactif. Et s’il faut jouer au livreur FedEx pour en profiter pleinement, soit : c’est bien pour cela que certaines missions placent le joueur dans la peau d’un livreur, non?

Bob Dupneu

Par ailleurs

L’exposition Game Story au Grand Palais, déjà présentée sur ce site, a attiré 57 000 visiteurs! Un résultat plus qu’encourageant et qui prouve que le jeu vidéo fait petit à petit son trou dans le monde très select de la culture « officielle » et politiquement acceptée!

5 comments

  1. Bon article encore une fois et ton avis est assez différent de ce qu’on a l’habitude d’entendre.
    Je suis plutôt d’accord avec toi quand tu dis que ces quêtes sont la garantie de pousser le joueur à explorer l’univers qui a été créé pour lui.
    Mais j’ai encore le souvenir d’un des rares MMO auquel j’ai joué : Silkroad Online. Le jeu était visuellement agréable, dans un univers sympa. Mais je me souviens parfaitement qu’il flirtait avec le summum de la quête FedEx : le « grinding » de base.
    « Oh mon dieu, des méchants épouvantails attaquent mon troupeau, va m’en tuer 10 et je te récompenserai »… on revient avec 10 fétus de paille et rebelote « les méchants épouvantails continuent de m’emmerder, va m’en tuer 30 et t’auras un plus beau cadeau »… on recommence, slash slash et puis on doit y retourner une 3e fois pour en tuer 60… ! etc…

    C’est la répétitivité de ces quêtes que je déplore, pas leur objectif. Pour le coup, je peux parler de Rage (j’y joue en ce moment), et j’ai un peu la même opinion. Le fait d’aller à gauche, à droite et de revenir à la ville est plutôt sympa, on se permet même quelques détours.
    Par contre, ça m’a déçu de devoir refaire les mêmes zones 2 fois sans grand changement. Certes parfois il faut faire le trajet dans l’autre sens, mais bon… J’ai trouvé ça un peu factice dans un jeu qui par ailleurs est vraiment sympa!

  2. « Alors certes, RAGE n’a pas la richesse d’un Zelda ou d’un Metroid, ni même celle d’un Yakuza, mais il n’en avait pas l’ambition : avant tout Doom-like »

    Voila, entièrement d’accord avec cette phrase. Ce qui me plait, ou au pire ne me dérange pas, sur un Zelda ou un Metroid, ne passe pas pour un jeu comme RAGE créé par le papa de Doom. Après c’est une question d’équilibre, de quantité.

    Très bon article en tout cas 🙂
    (et n’importe quelle bonne pensée concernant Wind Waker me réchauffe le cœur)

  3. Les aller-retour dans RAGE ne m’ont pas vraiment gênés, mais c’est probablement aussi car j’ai accroché au système de jeu et au style graphique; pour prendre un contre-exemple, je pourrais citer Final Fantasy Crystal Chronicles du GC qui imposait de refaire le même trajet en fonction des saisons (si je me souviens bien), ce qui m’avait paru hyper rébarbatif à l’époque. Mais il faut bien avouer que le système de jeu lui-même était juste insupportable (avec ce *#!@& vase à la c… qu’il fallait trimbaler partout et à cause duquel l’avatar se traînait comme c’est pas permis!) …

  4. Les goûts et les couleurs… En définitive je pense que les développeurs n’ont pas su choisir entre le Doom-like « à la Fallout 3 » et le jeu de course « à la Motor Storm » (voir même « à la Smuggler’s Run »…). Et comme on parle bien des géniteurs du père des jeux de tir à la première personne, les phases de course/exploration paraissent un peu fades en comparaison des passages purement FPS…
    Un problème d’équilibre comme tu le dis!

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