Et il vous explique pourquoi ci-après, au risque de se voir balancer des œufs pourris par les otakus les plus hardcore qui pourraient passer par ici. A ceux-là je dirai simplement que Hatsune Miku c’est nul et AKB48 c’est pour les gros nazes obsédés par le bas-ventre. Ça, c’est fait.
Dans le microcosme de la pop-culture japonaise en France, Gunnm reste un précurseur : premier manga « adulte » a avoir rencontré un public assez large en France, il a été publié dès 1995 en France par Glénat (soit à peine deux ans après le début de la publication au Japon), concomitamment à la diffusion de l’OAV (adaptation en animé) par Manga Entertainment, dans la collection Manga Mania. Cet OAV est lui aussi précurseur dans la diffusion des animés autre que Dragon Ball en France, et c’est par lui que j’ai découvert la série. Je pense en avoir déjà parlé sur ce blog, mais à l’époque, la collection Manga Mania fut lancée (en VHS !) par un bundle comprenant la vidéo de Street Fighter II en produit d’appel et celle de Gunnm en « bonus ». Bien sûr, l’acquisition de ce bundle par le petit garçon que j’étais alors doit plus à SF II qu’à Gunnm. Mais au final, c’est bien Gunnm qui me fera entrer dans une autre dimension de la pop-culture japonaise, en me faisant découvrir le Cyber-Punk.
Sombre sans être désespérant, violent et malsain sans entraîner le dégoût, Gunnm (« Rêve d’une arme » si on s’en réfère aux idéogrammes qui forment le titre) est un monument de la science-fiction japonaise, et un classique de la science-fiction tout court. Initialement publié dans une revue destinée aux adultes japonais, puis diffusée en 9 volumes, Gunnm raconte l’histoire d’un cyborg féminin, Gally, recueilli par un scientifique, Daisuke Ido, dans une ville futuriste sombre et violente. Rapidement, Gally découvre, sans se souvenir de son passé, son aptitude naturelle au combat. De là débute son chemin initiatique et sa quête d’identité, dans un monde à la dérive. La fin de la série ayant été expédiée par son auteur, alors en situation d’épuisement professionnel et en désaccord avec sa maison d’édition, une suite – Gunnm Last Order – a été publiée a partir des années 2000. Personnellement, j’ai trouvé cette suite moins marquante que la série originelle, mais c’est très subjectif.
Quoiqu’il en soit, c’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai suivi le développement du projet de film tiré de la série, depuis que James Cameron en a acquis les droits. Et même si au final le réalisateur a sous-traité la réalisation à Robert Rodriguez, je suis resté confiant dans le résultat final, me rappelant notamment Sin City, seule réalisation véritablement marquante de Rodriguez. Confiant, car je n’attendais pas d’une adaptation cinématographique qu’elle transcende Gunnm : j’espérais juste une retranscription fidèle de cet univers selon les codes du cinéma, ravi de pouvoir ainsi présenter à mes proches cette œuvre si marquante mais effrayante pour ceux qui ne s’intéressent pas aux mangas. Et force est de reconnaître que le boulot a été fait, et de belle façon.
Écartons d’emblée l’aspect du film qui ne souffrira aucune critique : l’aspect technique. De ce côté-là, même les critiques les plus acerbes doivent reconnaître la grande qualité de la photographie et des effets spéciaux, ainsi que de la direction artistique qui réussit à recréer « en vrai » l’univers du manga. Un véritable tout de force. Les yeux de Gally ont fait parler sur Internet (pour rappel, ils sont agrandis numériquement, comme avec certaines applications de selfies, pour donner un aspect manga à la cyborg); l’effet ne m’a pas particulièrement troublé, je l’ai même trouvé assez intéressant : il permet de générer un sentiment de « vallée dérangeante » assez adapté, tout en donnant à Gally un visage plus expressif. Une idée pas si mauvaise que cela au final.
Gally, Gally… j’en vois au fond qui tiquent : le personnage n’est jamais appelé par ce nom, puisqu’Ido la baptise directement du nom Alita, qui n’apparaît que bien plus tard dans le manga. Mais comme la série est connue à l’international sous le nom Alita, il paraissait logique de l’utiliser sans attendre, ce qui permet de donner au film son titre (« Alita : Battle Angel ») et de lui assurer une reconnaissance à l’international. D’ailleurs, ce besoin d’intelligibilité pour le public nord-américain se retrouve également dans les noms : Kuzutetsu devient Iron City, Daisuke Ido se transforme en Ido Dyson, Yugo en Hugo (mais la prononciation est la même en anglais, m’voyez…), etc. Je pense que beaucoup de ces modifications datent de la publication du manga en Amérique du Nord (et je suis trop fainéant pour vérifier !). Mais ces petites modifications, à même de choquer les puristes, ne m’ont pas gêné pour regarder le film. Pas plus que le scénario, qui s’éloigne tout de même du manga…
…Mais pas de l’OAV. En effet, si Rodriguez – et la promo du film – nous vantent le scénario comme étant une création de Cameron, c’est un peu exagéré. Totalement en fait : a quelques détails prêts, Gunnm le film reprend le scénario de Gunnm l’OAV, qui adaptait avec pragmatisme les deux premiers tomes de la série (ainsi que le premier chapitre du 3ème tome – spoiler inside). Et il faut bien avouer la vérité vraie : les ajouts de Cameron ne sont pas forcément les plus intéressants. En effet, le motorball – qui apparaît dans le 3ème tome – paraît ici un peu hors-sujet, même s’il permet une scène assez épique; mais il est prétexte à une fin ratée (ce qui est à mon sens le seul vrai point noir du film) et à une dénaturation du personnage d’Ido. De même, si le personnage de Zapan est développé par rapport au manga – et bien interprété par le Franciiiiis de Deadpool – son intrigue vient parasiter l’histoire principale, et ce au détriment du développement des personnages principaux : Ido perd son côté sombre – même si Christoph Waltz livre une fois encore une prestation de haut vol – et Grewishka ( Guryushika ) perd de la profondeur (ce qui était déjà le cas dans l’anime).
De même, et il s’agit là encore d’un point commun avec l’OAV, le personnage de Vector est dénaturé; ceci est d’autant plus dommageable que Vector est un des piliers du manga, qui personnifie à lui-même Kuzutetsu. Le personnage de Chiren – une fois encore repris de l’OAV, passez le message à cette grosse fainéasse de Cameron – est légèrement modifié, mais n’apporte pas grand-chose à l’histoire. Dans l’OAV, elle était notamment prétexte à une scène H comme disent nos amis japonais (cad vaguement érotique), reprise de façon édulcorée dans le film. C’est d’ailleurs un point récurrent, que je comprends intellectuellement mais déplore sentimentalement : afin de s’assurer une classification tout public, le film évite soigneusement toutes les scènes trop malsaines ou violentes. Ainsi, point de quête de cerveaux pour Grewishka, pas de sang rouge (mais un peu de « sang » bleu comme aux heures sombres de la censure de Mortal Kombat dans certains pays)… l’univers malsain et mortifère de Gunnm en ressort aseptisé et perd son aspect survivaliste et viscéral. C’est dommage.
Bon, j’ai quand même pris position en titre : le film m’a plu. Et malgré cela, j’énumère mes critiques. Alors voyons ce qui fonctionne ! Le personnage de Hugo/Yugo me paraît bien réussi, plus mature que dans le manga, plus dur que dans l’OAV, il permet de révéler la dimension messianique d’Alita/Gally. L’amourette entre les deux protagonistes est typique des coups de foudre à la Cameron, mais rondement amenée. Même si le passé de Hugo (à l’américaine, fucking yeah !) est passé sous silence, son aspect romantique est plus développé. Par ailleurs, le coup de la prise de possession des protagonistes par Nova est intéressant. Je n’ai cependant pas compris pourquoi Rodriguez et Cameron ont décidé de fusionner les personnages du chef Bigott et de Desty Nova (ce qui connaissent le manga me suivront, les autres n’ont qu’à se mettre à jour, ce sera leur meilleure décision depuis longtemps !). L’intérêt de la manœuvre est nul, et surtout le réalisateur se prive ainsi d’un des meilleurs personnages de Gunnm. Sans Vector ni Desty Nova, j’ai des doutes sur l’intérêt de la suite annoncée…
Au rayon des bons points, j’ai aimé le clin d’œil à Ghost in the Shell avec les sentinelles copiées sur les tachikoma, ainsi que les réminiscences d’Alita, qui renvoient à Last Order. Également, plusieurs scènes iconiques du manga et de l’animé sont reprises avec talent, pour le plus grand plaisir des vieux fans de la licence. La scène de la découverte du corps de berserker est elle aussi intéressante. Bref, le film propose tout de même son lot d’idées, ce qui en fait un bon élément dans l’écosystème Gunnm. Il ne dépasse pas l’oeuvre originale – je n’ai jamais espéré qu’il le fasse – mais constitue une adaptation agréable et intelligemment effectuée compte-tenu du support. Je regrette essentiellement deux choses : une fin ratée (je me répète, mais c’est important) et ne pas avoir découvert Gunnm avec ce film, et connaître les sentiments qu’il peut provoquer chez un spectateur ignorant de la série. Et puis, s’il vous plaît messieurs Cameron et Rodriguez : pas de suite. Ce serait sans intérêt.
Bob Dupneu
Par ailleurs
Reggie Fils-Aimé, P-DG de Nintendo of America et une des dernières grandes figures de Nintendo a annoncé son départ, effectif en Avril. Qui sera là pour botter des culs au nom de Big N désormais ? En quelques années, Nintendo a perdu plusieurs de ses « gueules » : Yamauchi, Iwata et maintenant Fils-Aimé. Il ne reste plus que Miyamoto – qui n’est pas homme public – pour éviter à Nintendo d’être une société sans visage… Pour combien de temps ?
Quoiqu’il en soit, ce départ démontre à quel point l’industrie du jeu vidéo s’est normalisée : finie les grandes gueules et les coups d’éclats ! Qui se rappellera encore dans dix ans que cette industrie s’est construite sur des oppositions de style et de personnes ? Qui pour se rappeler de la bobine de Hidekazu Yukawa sur les boîtes de Dreamcast ? Seuls les vieux briscards…