Tout joueur qui se respecte connaît la série Zelda, et tout vrai gamer en a retourné au moins un ! Les fans de la princesse et de son preux chevalier Link ne manquent pas, et chaque nouvelle sortie voit apparaître son lot d’analyses et de réflexions. La sortie de Spirit Tracks n’a pas échappé à cette règle, et il faut bien admettre que certains dossiers proposés à l’époque étaient très intéressants (dans les IG Mag 5 et 6 notamment).
Malheureusement, les fans de RPG en France (et en occident en règle générale) sont le plus souvent nourris d’heroic fantasy à la Tolkien, ce qui implique un fort intérêt, et parfois de très bonnes connaissances, pour tout ce qui relève des mythologies nordique et celte. Ainsi, les analyses proposées pêchent en ce qu’elles sont centrées sur la culture occidentale; certes, les Zelda empruntent à cette culture (notamment en ce qui concerne Excalibur qui devient l’épée de Link), mais il faut garder à l’esprit que ces jeux ont été créés par des japonais et, à l’origine du moins, pour des japonais : aucune tentative d’explication de la « mythologie Zelda » ne peut dès lors s’imposer si elle ne se rattache pas à l’inconscient collectif nippon.
Je vous propose donc aujourd’hui le fruit de quelques réflexions et recherches sur l’importance de la culture japonaise dans la saga Zelda. En premier lieu, je veux revenir sur l’origine de la Triforce (symbole récurrent des Zelda et origine de son univers) et apporter mon interprétation de cette dernière, avant d’évoquer de façon plus triviale les aspects typiquement nippons qui se retrouvent dans chaque Zelda, afin que vous soyez persuadés qu’il n’y a pas que Ryu no Gotoku (Yakuza en français) pour vous transporter au Japon!
Au commencement était Benten-sama
J’ai un temps pensé que la Triforce faisait référence à la sainte Trinité (Père, Fils et Saint-Esprit), tandis que d’autres y voyaient l’interprétation japonaise de la création du monde par Odin et ses frères. Or, lors de mon premier séjour au Japon, je n’ai pu m’empêcher de remarquer la présence dans de nombreux temples, du parc d’Ueno à Tokyo à l’île de Miyajima (Utsukushima) près d’Hiroshima,
de la fameuse Triforce ! Prise de contrôle totale du pays par les otakus? Réminiscences d’une antique famille de samourais? La question méritait d’être posée, et elle le fut, au premier moine rencontré. La « Triforce » que l’on retrouve au Japon est en fait l’insigne de Beten-sama (ou Benzaiten -弁財天- en langage plus formel), déesse japonaise issue de la tradition hindoue et faisant partie des sept dieux de la (bonne) fortune, très populaires au Japon.
Dès lors, l’origine de la Triforce s’explique, d’autant plus logiquement qu’il n’est plus nécessaire de la raccrocher, de force, à notre culture. Quelques recherches sur Benten-sama suffirent à me convaincre. Premièrement, Benzaiten est la déesse de trois domaines : la musique, la parole et la richesse. Le parallèle avec les trois éléments de la Triforce est évident : la Sagesse de Zelda provient de son aptitude à communiquer, à faire usage de la parole, tandis que Ganondorf dispose d’une puissance matérielle, que l’on peut acheter, sans faille et qui représente sa seule Force et que Link puise son Courage dans la musique, qui est un élément central dans la saga.
La musique renvoie immanquablement aux instruments, plus ou moins magiques, que Link utilise dans ses aventures. La représentation classique de Benten-sama la montre justement jouant du biwa, une sorte de guitare traditionnelle. Le légendaire attrait de Miyamoto pour la musique n’est donc pas la seule explication à l’omniprésence des instruments de musiques dans la série!
Un dernier élément devrait suffire à convaincre les récalcitrants que c’est bel et bien Benzaiten qui est à l’origine de la Triforce et d’une grande partie de l’univers Zelda : certaines représentations de la déesse l’affublent ainsi de plusieurs bras (un classique chez les divinités hindoues), huit pour être précis, soit exactement le nombre de morceaux de Triforce que le joueur doit retrouver dans le tout premier Zelda! Ceux qui continuent de croire à une coïncidence devraient désormais faire preuve d’un peu de bonne foi!
Un voyage au Japon
Chaque itération de la série Zelda propose un voyage onirique sur la plaine d’Hyrule (parfois au-dessus…), et il s’avère compliqué de discerner ce qui rend l’expérience si particulière. Il est évident qu’une fois de plus le génie de Miyamoto (qui souhaitait créer « un monde miniature tenant dans un tiroir« ) a joué à fond, mais au-delà de cette influence originelle, je pense que l’un des secrets de la saga, qui lui permet de se placer largement au-dessus de la concurrence (au-dessus même – attention je vais me faire des ennemis – des Final Fantasy ou autres Diablo), est le fait d’avoir été créé par des japonais, bien au fait d’une culture qu’ils aiment.
Cette empreinte culturelle donne au monde de Link une fraîcheur et un attrait particuliers qui le distinguent des productions occidentales. Mais comme je sens que certains veulent des preuves, je vais vous présenter quelques exemples de cette influence nippone (mais je suis sûr qu’il y en a d’autres…).
Ceux qui sont allés au Japon se sont sûrement rendus dans un onsen (温泉 – pour ceux qui seraient allés au pays du Soleil levant sans se plonger dans un onsen : grave erreur!), une source d’eau chaude (souvent d’origine volcanique) comme les affectionnent particulièrement les japonais, et auxquelles on accorde des vertus thérapeutiques, un peu comme la thalassothérapie ou les cures thermales chez nous. On retrouve des références aux onsen dès A Link To The Past (avec les bassins féériques qui redonnent de l’énergie), mais la référence la plus claire se trouve dans Twilight Princess, lorsque Link découvre les gorons qui barbottent tranquillement dans une source thermale.
De même, comment ne pas penser à un éventuel séjour au Japon en regardant les boîtes aux lettres hyliennes qui apparaissent dans Ocarina of Time? Leur couleur rouge renvoie directement aux couleurs de la poste nippone… Par ailleurs, l’intérêt que Link nourrit pour la photographie dans The Wind Waker, et qui et au centre de la rejouabilité du titre avec la chasse aux trophées proposée, est si caricaturale du japonais moyen que, venant de programmeurs non-japonais, cela aurait pu être mal interprété! Et que dire des parties de pêche du kokiri, présentes depuis Link’s Awakening? La pêche à la ligne, et plus particulièrement avec des leurres, est un loisir particulièrement apprécié des japonais. Vous verrez que dans le prochain Zelda, Link se mettra au golf! La présence de fantômes dans les Zelda est également typique du folklore japonais (la lecture de Lafcadio Hearn suffira à s’en convaincre). Au rang des traditions japonaises, citons aussi la propension de Link a porter des masques, habitude si importante aux yeux
des développeurs qu’un épisode entier de la saga (Majora’s Mask) a été créé pour traiter du sujet; comment dès lors, en parlant de masques et de culture japonaise, ne pas évoquer le nô (能)?
Le monde de Zelda tout entier est en réalité fondé sur certaines des croyances japonaises les plus anciennes. Outre la traditionnelle dualité entre le bien et le mal (monde de la lumière et monde du crépuscule, que l’on retrouve dans A Link To The Past, Ocarina of Time et Twilight Princess) qui peut se rattacher à la notion asiatique du Ying et du Yang (kage – 陰 – et yô – 陽 – en japonais), il faut évoquer la forêt enchantée et l’arbre Mojo d’Hyrule. La croyance religieuse traditionnelle du Japon veut que les forêts les plus inaccessibles sont habitées par les dieux, et que les arbres les plus anciens et les plus gros sont absolument sacrés (on parle de shinboku – 神木 – arbre divin).
Cette croyance se retrouve même dans la culture d’Okinawa, assez différente pourtant de celle de la métropole, avec l’existence de bosquets sacrés (utaki – 御岳).
Mon objectif en rédigeant cette analyse était de vous démontrer que la culture japonaise imprègne si fortement la mythologie Zelda qu’elle suffit presque à expliquer la fascination qu’elle exerce sur certains, et les quelques exemples présentés sont assez probants, je crois! Quoiqu’il en soit, analyser Zelda ne m’intéresse pas tant que d’y jouer, aussi c’est avec impatience que j’attends Skyward Sword…
Bob Dupneu
Très bon article, qui va droit au but et ne se noie pas dans une approche excessivement exoticisante du Japon… J’aime beaucoup! D’autant que pour ma part cela faisait quelques temps que tout ceci me turlupinait…
Merci beaucoup en tout cas!
Merci! L’article me tenait à cœur, car en découvrant le Japon, j’avais vraiment eu l’impression de redécouvrir les Zelda déjà parcourus, et mon intérêt pour la série n’en ai devenu que plus grand.
Dans Twilight Princess il y a aussi la chasse aux insectes qui est une pratique très répandue au Japon.
Très bon article en tous cas !
C’est vrai, les enfants japonais (surtout les petits garçons) chassent les insectes, notamment de gros scarabées qu’ils mettent ensuite dans de petits vivariums en plastique et qu’ils nourrissent avec de la gelée vendue au rayon jouet !