Yakuza 4

Mi-mars, le quatrième opus d’une série mythique est sorti dans l’indifférence quasi-générale en France (il faut dire que sortir en même temps que Dead Space 2, Top Spin 4, Fight Night Champion et juste avant la 3DS, c’était pas très malin…) : Yakuza 4. La série bénéficie d’un fort succès au Japon et d’une bonne réputation en Occident, mais elle ne se vend pour ainsi pas en dehors de l’archipel… Ainsi, c’est un an jour pour jour après la sortie japonaise, et ce dans une version localisée en anglais uniquement, que Yakuza 4 a atteint nos contrées. Avec une telle politique éditoriale, il est certain que la série n’est pas prêt à s’attaquer au grand public en France…

Quoiqu’il en soit, n’ayant jamais au l’occasion de parcourir un Yakuza du début à la fin (pour un tas de plus ou moins bonnes raisons…), c’est avec un intérêt certain que je me suis rendu chez mon revendeur habituel la veille de la sortie officielle, afin de m’approprier un exemplaire du jeu (la version collector, dans un boîtier métallique noir, tant qu’à faire !). J’étais loin de penser que ce jeu, acheté en grande partie par curiosité, allait hanter mes nuits des semaines durant… Je vais essayer de vous expliquer en quelques paragraphes pourquoi Yakuza 4 est un jeu génial, et pourquoi il ne plaira qu’à certains tandis que la grande majorité des joueurs occidentaux y restera totalement hermétique.

« Un yakuza est un yakuza ! »

Cette affirmation, tirée de l’excellent film « Dans l’ombre du Loup » (鬼龍院花子の生涯 Kyryûin hanako no shôgai – lui-même adapté d’un roman) résume à elle seule la conditions des mafieux de tous pays : une fois entré dans le monde du crime organisé, il n’est plus possible d’en sortir, et il faut en accepter les règles. C’est en substance le fil directeur de toute la narration de Yakuza 4. Bien que la forme même du jeu est celle d’un « bac à sable » (comprendre : un monde ouvert ou le joueur est libre de ses mouvements et peu s’adonner à tout un éventail d’activités annexes), le scénario de Yakuza 4 est très fortement présent, beaucoup plus que dans d’autres jeux du même style, et se permet même parfois de contraindre totalement le joueur (je pense notamment aux chapitres concernant Saejima). Conséquence directe de ce choix de réalisation, les vidéos, souvent de très bonne qualité et dotées d’un doublage – japonais uniquement – excellent et assuré par des acteurs japonais de renom (dont la « fameuse » Aya Hirano, qui fait l’objet d’un culte amour-haine malsain d’une bonne partie des otakus…) sont légions et souvent encadrées par des séquences de dialogues textuels relativement fixes. Si on peut regretter que les développeurs n’aient pas pris la peine de transposer ces séquences fixes en vidéos – la faute à un budget trop serré? – il est indispensable de les suivre, au risque de ne plus rien comprendre à l’histoire…

Du coup, les vidéos et les dialogues ne proposant leurs textes qu’en anglais, ceux qui ne maîtrisent pas bien la langue des rosbeefs risquent de décrocher assez vite… et un très bon niveau en japonais ne suffira qu’à comprendre les vidéos, alors que les informations directement utiles au jeu ne sont données que dans ces séquences de dialogues fixes… Les anglophobes devront donc passer leur chemin…

Ceux qui comprendront le scénario ne pourront qu’être séduits. L’histoire n’est pas d’une originalité absolue, reprenant les codes des films de yakuzas dont regorge le cinéma japonais, mais elle est bien racontée et s’avère étonnamment assez touchante. Comment en effet ne pas se prendre d’affection pour les quatre personnages que le joueur incarnera : Shun Akiyama le prêteur sur gage au grand cœur un peu bellâtre sur les bords, Taiga Saejima l’écorché vif évadé de prison, Masayoshi Tanimura le flic véreux en quête de vengeance et Kazuma Kiryu, légende vivante rattrapée par son destin. Le jeu sépare initialement les chemins de ces quatre hommes, mais, leurs destins s’avérant liés, la partie finale met en scène leur « alliance sacrée », car si leurs motivations différent, leur objectif est le même, défendre Kamurochô : leur quartier, leur monde.

Kamurochô mon amour

Il est nécessaire, pour accrocher à l’univers de Yakuza 4 et trouver au jeu un intérêt quelconque, de bien connaître la culture japonaise moderne, un ou deux voyages dans une grande métropole nipponne ne seraient d’ailleurs pas un luxe; il est en effet jouissif de se balader dans Kamurochô et de passer du Don Quichotte au Sega Center tout en s’achetant de la Sapporo au combini du coin avant de taper quelques balles au Batting Center, à condition de connaître les lieux et les marques présentés dans le jeu… Yakuza 4 propose en effet au joueur de se balader dans un Shinjuku miniature, et le soin apporté aux détails, des panneaux publicitaires aux barrières sur les trottoirs, est réellement impressionnant, mais seuls celles et ceux qui se sont déjà baladés dans le quartier représenté profiteront du voyage…

En dehors des objectifs propres au scénario, le quartier de Kamurochô propose de nombreuses activités annexes qui n’ont d’intérêt que celui qu’on leur porte. Ces activités se débloquent au fur et mesure du jeu, l’intégralité n’étant disponible qu’une fois la dernière partie du jeu atteinte. Au menu : restaurants, karaoké, fléchettes, base-ball, golf ou encore combats clandestins (et entraînement de ses élèves pour lesdits combats). De par son aspect adulte et licencieux, Yakuza 4 propose un certain nombre d’activités plus ou moins liées au sexe, comme voir un un pole-dance érotique ou se rendre aux bains en galante compagnie. Les bars à hôtesses sont également présents (alors qu’ils avaient été censurés dans Yakuza 3 en Occident, soit-disant en raison d’un délai trop court pour la localisation… C’est en tout cas cette censure qui ne s’assume pas qui m’avait dissuadé d’acquérir le jeu :  on commence par ça, et puis dans quelques années les jeux un peu violents seront interdits comme en Allemagne…) et prennent la forme d’un mini-jeu de drague… SEGA ayant fait appel à de véritables actrices pour incarner les hôtesses du jeu, ce qui devait arriver est arrivé : un des modèles utilisés a tourné un porno dans lequel elle incarne une hôtesse du jeu (Elena Aihara). L’éditeur ne semble pas s’être plaint de ce coup de pub inattendu…

Même sans se plonger dans les mini-jeux proposés, la ballade demeure toujours digne d’intérêt : le quartier, que l’on peut explorer des égouts aux toits, est vivant, rempli de personnages hauts en couleur et regorge de petits détails et de lieux à visiter. Les esprits chagrins argueront à juste titre que la plupart des portes restent closes, mais il faut y voir un choix des développeurs qui ont voulu peaufiner au maximum les parties accessibles de leur quartier. S’il n’est de prime abord pas très étendu, le quartier de Kamurochô s’avère plus long a explorer que prévu, et les efforts fournis pour lui donner une âme sont évidents. De petits défis ont été disséminés un peu partout pour pousser le joueur à explorer les moindres recoins (comme commander chaque plat de chaque restaurant ou encore réussir les « révélations », de petites séquences en quick time event servant de prétextes à des scènes délirantes comme celle du voleur de culottes…). C’est probablement dans les petits riens de Kamurochô que se développe l’esprit du jeu, qui, malgré un scénario sombre et épique, ne se prend jamais au sérieux (j’attribuerai un prix spécial au passage de Saejima dans les toilettes publiques lors de son entrée à Kamurochô !).

Un Pulp Fiction à la japonaise

Une mise en garde s’impose : il ne faut pas prendre pour argent comptant les situations et le monde que Yakuza 4 met en scène; comme dans les films de Tarantino, l’histoire semble se dérouler dans une bulle hors du monde réel, une sous-société disposant de ses codes et de ses règles propres. Rien d’étonnant à ce titre que nos héros passent leur temps à tabasser la moitié de la ville ou qu’un chef de clan yakuza bloque tout un quartier avec ses hommes pour pouvoir se balader librement, et ce sans que la police ne lève le petit doigt…

De même, les valeurs et le référencement culturel des protagonistes ne sont pas ceux de notre monde; s’agissant de mafieux, l’importance de la famille est primordiale, et les valeurs comme l’honneur et le respect de la parole donnée tiennent une place particulière dans le scénario. La plongée dans le monde imaginaire des yakuzas est donc totale, et l’immersion est si parfaite que le joueur ne remet jamais en question les situations exposées (les intellectuels du jeu vidéo parleront de « suspension d’incrédulité », une expression si pompeuse – lue si je me rappelle bien dans IG Mag, une publication que j’apprécie particulièrement par ailleurs ! – que je me marre encore rien qu’en l’écrivant…). Je précise à toutes fins que si j’écris le monde imaginaire des yakuzas, c’est parce qu’en réalité ces derniers, n’étant ni plus ni moins des criminels, sont plus des trafiquants d’êtres humains et de drogue que des « anges gardiens », ainsi que le jeu nous les dépeint. Précision importante pour que les plus jeunes qui auraient bravé l’interdit 18+ ne confondent pas jeu et réalité…

En plus de l’anglais et de la culture japonaise moderne, le joueur devra donc comprendre un minimum le monde des yakuzas tels qu’il nous est rapporté par le cinéma. L’organisation habituellement retenue est globalement la suivante : différents clans sont en compétition au Japon, chacun disposant de son pré carré; un clan est composé de plusieurs familles, dont une dominante qui le dirige, et chaque famille au sein du clan dispose d’un territoire et d’un domaine d’activité. Les familles peuvent encore recevoir des subdivisions, et ne sont pas de force et de rang égaux au sein du clan. Ainsi, les clans s’opposent, et entrent parfois en guerre, mais des oppositions et des guerres peuvent également exister entre les familles d’un même clan. Le tout étant très hiérarchique, comme souvent au Japon, un yakuza doit respecter ses supérieurs, sa famille et son clan, théoriquement dans cette ordre (le supérieur étant supposé faire ce que dit la famille, qui a elle-même pris ses consignes du clan). Evidemment, s’agissant d’un milieu crapuleux, les entorses au règlement et les trahisons sont légion, et dans les incessantes luttes de pouvoir, le yakuza « de base » doit décider qui, du clan, de la famille ou du supérieur, mérite sa loyauté… Ces cas de conscience permanents sont la colonne vertébrale du scénario de Yakuza 4 !

Bien que le jeu soit profondément ancré dans le monde des mafieux japonais, il convient de préciser que les personnages présentés dans le jeu ne sont majoritairement pas des yakuzas, à commencer par Akiyama et Tanimura. Ainsi, le joueur sera confronté à d’autres microcosmes, le quartier chinois ou le monde souterrain notamment, qui possèdent eux aussi leurs lois. De même, la plupart des gros bras qui finiront sous les mocassins de nos héros (ou les baskets de Tanimura, ou les rangers de Saejima…) ne sont que des racailles à la petite semaine. Il est à ce titre bon de rappeler que le titre japonais de la série Yakuza est Ryû ga Gotoku (龍が如く – Comme un Dragon). La licence ne s’est donc jamais limitée au petit monde des tatoués (il faut bien avouer qu’il n’est pas fréquent pour un japonais d’utiliser le mot yakuza, auquel on préfère des périphrases…).

Un jeu d’auteur

Dans le monde du cinéma, un film d’auteur désigne une œuvre à petit budget qui n’est pas nécessairement adaptée au grand public. Yakuza 4 pourrait entrer dans cette catégorie : le budget a certes été conséquent pour une production japonaise (notamment en raison de l’utilisation de marques connues au Japon et du recours à des acteurs reconnus pour les doublages), mais il est notoire que les moyens dont disposent les studios japonais depuis quelques années, aussi bien humains que matériels, sont sans commune mesure avec les occidentaux (Electronic Arts et UbiSoft en tête). Techniquement, Yakuza 4 est donc à la traîne, et ce même si on tient compte du fait qu’il est sorti chez nous avec un an de retard. Le travail sur les visages est remarquable, mais les personnages, les décors, les animations et les textures sont tout juste dans la moyenne des jeux PS3… Heureusement que le talent et la passion parviennent à compenser ces lacunes techniques.

De même, le gameplay est assez basique et à l’image de celui proposé dans beaucoup de jeux typiquement japonais : simple et basé sur la répétition. Le système de combat est le seul aspect qui a été un peu plus développé et qui permet des subtilités, mais on ne peut en profiter que contre le tout-venant : les combats contre les boss se résument en effet à tourner autour, attendre le pattern d’attaque, coller une ou deux baffes et recommencer… Les ennemis communs sont pour leur part trop faibles et sans diversité. En dehors des combats, l’essentiel du jeu consiste à se rendre d’un point A à un point B, de regarder une cinématique de qualité, de faire avancer un dialogue fixe, et de se rendre du point B au point C pour voir une nouvelle cinématique (toujours de qualité !).

Le plaisir de jeu dépend au final de l’intérêt que porte le joueur à son univers. Si cet intérêt est fort, alors il y aura beaucoup à faire dans Kamurochô : draguer des hôtesses, battre son score au game center, entraîner tout un dojo ou encore aider une policière coréenne dans son enquête… le tout servi par des mini-épreuves qui proposent des systèmes de jeu souvent très sympathiques. Si l’intérêt porté à l’univers présenté est faible, alors Yakuza 4 ne sera qu’une succession de cinématiques, une sorte de film interactif. Il est évident que seul un joueur un minimum attiré par le monde japonais contemporain s’amusera avec Yakuza 4; ceux qui ne s’intéressent pas à cette culture ne pardonneront pas au jeu ses lacunes dans le gameplay et la technique. Mais si vous aimez déambuler dans les villes japonaises modernes, que vous passez du temps à collectionner les objets virtuels et que vous êtes un mordu de yakuza eiga (ヤクザ映画), alors vous ne devriez pas hésiter une seconde de plus !

Comme souvent, j’ai emprunté les photos qui illustrent cette critique sur jeuxvideo.com

Bob Dupneu

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