Du zonage de la 3DS et de ses conséquences

J’ai récemment eu l’occasion de me rendre au Japon, et j’en ai profité pour parcourir les linéaires de jeux vidéos. Depuis quelques années, il est en effet devenu simple d’utiliser sur les consoles vendues en France les jeux distribués au Japon : la NDS et la PSP ne sont pas zonées, tandis que de nombreux jeux PS3 et Xbox 360 sont « Region Free ». Le cas de la Wii ne pose pas beaucoup plus de problèmes : malgré le zonage de la console et des jeux, il est très facile de lire les jeux imports, et ce même sans l’ajout d’une puce!

Du coup, habitué à la simplicité de l’import ces derniers temps, je me suis procuré sans réfléchir Starfox 64 3D, remake du hit de la N64 sur lequel j’ai passé un certain temps, avant de me rappeler que Nintendo avait trouvé opportun de zoner la 3DS. Et la sentence a été immédiate : le jeu n’est pas reconnu par ma portable à 250€ et à la ludothèque vide… Indépendamment de l’argent fichu en l’air (car après vérification il n’existe pas encore de méthode pour faire sauter le zonage) et de la frustration de ne pas pouvoir participer aux duels aériens testés dans le magasin, c’est l’incompréhension qui prédomine : quel intérêt peut avoir Big N dans le fait de zoner sa console? Qu’il combatte les pirates est une chose, mais pourquoi s’en prendre à ses propres clients? Car si j’ai l’opportunité et la volonté de me procurer légalement un jeu avant sa localisation et sa distribution en France, à quoi bon m’en interdire l’utilisation? Les quelques français qui pourront acquérir le jeu de cette façon ne pèseront de toute façon pas lourd dans les résultats de la version localisée, alors pourquoi tant de haine?

C’est un truisme, mais l’ennemi des producteurs de jeux vidéos n’est pas le client : c’est le pirate! Ennemi acharné et ancien, il prive l’industrie des fruits de ses efforts, ou plus précisément détourne la rémunération de l’industrie à son profit, ce qui rend parfaitement légitime la défense du secteur contre ce fléau. Le pirate s’enrichit principalement de deux façons : vente de matériels à même de neutraliser les protections mises en place sur les consoles (linkers et autres puces) et insertion de publicités sur les sites de téléchargement de copies de jeu. Le problème du piratage aujourd’hui, c’est qu’il prend la forme d’une véritable industrie mondiale, qui se terre au choix dans l’Eden des contrefacteurs et autres violeurs de propriété intellectuelle, j’ai nommé la Chine, ou dans les zones de non-droit de l’Europe de l’Est contrôlées par le crime organisé. Du coup, les offensives légales de Nintendo & Co. n’aboutissent qu’à des victoires symboliques, inaptes à endiguer le fléau. Dans les volumes et les moyens déployés, nous sommes très loin du piratage à la papa des années 80 : avec l’essor du jeu vidéo en tant que produit de consommation et le développement des canaux de circulation, à commencer par Internet, le phénomène prend des proportions démentes et peu contrôlables. Conséquence logique ou aveu d’impuissance, les multinationales du jeux vidéos, incapables d’abattre un ennemi insaisissable et parfois très riche, dirigent leurs efforts contre une autre cible sans laquelle les « teams » du piratage mondial ne seraient rien : les hackeurs.

Il est dommage de constater que Sony et Nintendo (principalement, car l’attitude de Microsoft est légèrement différente et semble plus intelligente pour une fois…) n’ont pas plus de discernement que la ménagère de moins de 50 ans en ce qui concerne les hackeurs; ces derniers diffèrent en effet radicalement des pirates en ce qu’ils ne sont pas motivés par l’appât du gain, mais bien par le défi technique qui consiste à faire sauter les protections informatiques, justifiant souvent leurs actes par une pseudo politique anarcho-libertaire, qu’ils abandonneront dès lors qu’IBM, Intel ou autres leur proposeront un CDI. Des ados attardés très doués et un rien agaçants parfois, mais pas méchants pour un sou en règle générale. Seulement voilà, les hackeurs ont la mauvaise habitude de fanfaronner dès lors qu’ils ont réalisé un petit exploit, diffusant sur la toile toutes leurs trouvailles et leur méthodes afin d’être reconnus par leurs pairs : les pirates sont toujours à l’affût de ces distributions gratuites qui sont nécessaires à l’établissement de leur business. Les équipes de pirates ne disposent en effet que rarement des hackeurs les plus doués, et sont en quelque sorte dépendants des GeoHot et autres DarkAlex. De là, le rapprochement entre pirates et hackeurs semble facile, et Sony n’a pas jugé utile de pousser la réflexion un peu plus loin avant d’entrer en guerre privée avec un adolescent américain! Oubliant dans son offensive de se protéger des vrais méchants qui en ont profité pour dérober les informations bancaires de deux millions d’utilisateurs du Playstation Store… Ou comment l’acharnement le la firme japonaise à protéger ses bénéfices l’a conduit à négliger ses clients…

Pirates, hackeurs… on s’éloigne du zonage de la 3DS, là! Il est cependant utile de rappeler les fronts sur lesquels les majors de l’industrie vidéoludique sont engagées depuis de nombreuses années maintenant, afin de préciser un fait : le manque à gagner n’a jamais été aussi important pour les industries du secteur. Un esprit un minimum objectif arguerait que si les bénéfices des pirates augmentent, c’est tout simplement parce que les bénéfices de l’industrie explosent également. Les consoles les plus piratées sont en règle générale celles qui se vendent le mieux et qui produisent le plus de bénéfices (Wii et NDS et nos jours, PS1 et PS2 il y a quelques années – il en est de même pour les jeux). Mais les entreprises du secteur ne voient pas cela, car elles sont obnubilées par l’argent qui leur échappe (théoriquement, car il reste à prouver qu’un jeu copié est un jeu acheté de moins…) et paniquent en constatant leur impuissance face au crime organisé et aux génies informatiques… Pour se rassurer et tenter d’augmenter un peu plus leurs profits, elles vont en désespoir de cause s’en prendre à leur seconde bête noire : le marché de l’occasion.

Le marché de l’occasion a toujours existé, mais deux événements récents ont changé la donne : le jeu vidéo dématérialisé est arrivé, et les bénéfices historiques d’Apple avec, tandis que le colosse texant GameStop (Eb Games) – leader des revendeurs de jeux vidéos – a acquis une dimension mondiale avec son arrivée sur le continent européen, qui s’est traduit en France par l’acquisition de Micromania. Il faut noter que les éditeurs de jeux vidéos n’apprécient traditionnellement pas les revendeurs, dont la marge augmente prix de vente des jeux; pis encore, lorsque l’industrie doit contracter avec un très gros revendeur (Carrefour ou Micromania par exemple), ce dernier dispose d’assez de poids économique pour imposer ses conditions à l’éditeur : baisse des prix, opérations spéciales… Le consommateur ne s’en rend pas forcément compte, mais la distribution des jeux fait l’objet d’âpres négociations dont Sony a voulu s’affranchir avec la PSP Go. Son idée n’était pas mauvaise : puisque la vente de jeux dématérialisée fonctionne sur le l’AppStore ou le Playstation Store (pour les « petits jeux pas chers », certes, mais le modèle fonctionne pour les « gros jeux chers » sur Steam depuis plusieurs années maintenant… Mais le monde PC est un peu différent), pourquoi ne pas supprimer définitivement les jeux en boîte? Malheureusement pour Sony (et heureusement pour nous autres consommateurs), les revendeurs on flairé le mauvais coup : chaque vente de PSP Go entraîne la perte d’un acheteur de jeux… Plus ou moins boycottée par les revendeurs de jeux, la PSP Go a été un échec, et le secteur a du se rendre à l’évidence : il ne peut pas se passer des revendeurs, pour la simple et bonne raison qu’on ne peut pas télécharger une console, et que les vendeurs de consoles sont avant tout des vendeurs de jeux!

La volonté de Sony de se libérer du joug des revendeurs peut se comprendre, tant leur stratégie commerciale s’est développée ces dernières années, se recentrant sur le marché de l’occasion. Il est même étonnant que le système ne se soit pas développé avant l’arrivée de GameStop sur notre continent, tant il est simple et logique : lorsqu’une entreprise, disons Konami, produit un jeu, disons ISS, elle doit assurer un certain nombre de dépenses (développement, pub, intermédiaires, …). Ces dépenses sont calculées en fonction du prix de vente du jeu et du nombre de copies que Konami pense écouler. Konami vend ensuite ses jeux à un distributeur, disons Micromania, qui va le revendre, en prenant sa marge. Jusque là, tout est simple : sur un jeu, Konami fait un bénéfice et rembourse une partie de ses dépenses, et Micromania prend sa marge. Sauf que sur les 70€ que le joueur va payer, Micromania ne touche que quelques euros. D’ou une idée toute simple : si Micromania rachète à un de ses clients ISS 40€, et le revend 60€ (ce qui correspond à peu près à la réalité), il va empocher sa marge + 20€ sur le même jeu. Si Micromania rachète et revend le même exemplaire d’ISS trois ou quatre fois, il va faire exploser ses bénéfices. Multipliez par le nombre d’ISS vendus neufs et qui repassent par le circuit de l’occasion, et vous comprendrez que Micromania a découvert la poule aux œufs d’or. En rachetant les jeux avec des bons d’achats, Micromania s’assure en plus que le client et son argent restent dans son circuit… Déliiiire!

Non, non, ce n'est pas une pub. C'est une image d'illustration 🙂

Du côté de Konami par contre, la situation est désastreuse : pour 3 ou 4 utilisateurs de son jeu, et donc acheteurs potentiels, la firme ne réalise qu’une vente. Du point de vue de Konami, les occasions de Micromania sont à placer dans le même sac que les copies pirates : l’utilisateur du jeu n’a rien payé à Konami (sauf l’acheteur initial). Pire encore, dans le cas de la vente d’occasion, le joueur a payé, et souvent un prix assez élevé tout de même, mais sans que Konami ne touche sa part du gâteau. Coup de grâce : habitués à trouver les nouveautés en occasion quelques semaines après leur sortie seulement, les joueurs considèrent de plus en plus que le prix des jeux neufs est trop élevé, ce qui les pousse vers le marché de l’occasion ou l’illégalité… Il faut savoir que la baisse du prix des jeux en magasin est une obsession dans le secteur : le consommateur doit avoir à l’esprit que le prix d’un jeu neuf est de 70€ sur PS3/Xbox 360, 60€ sur Wii, 40€ sur NDS… Saviez-vous par exemple que pour éviter la cession à prix cassé des invendus, Micromania et consorts sont contractuellement tenus de faire détruire par un professionnel et sous contrôle d’un huissier de Justice des milliers de jeux tous les mois?

Lorsque l’on sait que certaines enseignes proposent la réservation d’une nouveauté en occasion une semaine après sa sortie, on comprend aisément que les relations entre les distributeurs et les éditeurs sont un peu tendues. Nintendo a bien essayé lors de la sortie de la GBA (ce qui prouve que le problème est déjà assez ancien) d’insérer sur la boîte de certains de ses jeux – ci-dessous F-Zero Advance en version japonaise – une interdiction à la revente, mais les juges japonais ont du lui rappeler que cette interdiction est parfaitement illégale : sans rentrer dans des détails juridiques gonflants, sachez tout de même que le propriétaire d’une cartouche de jeu peut en faire ce qu’il veut, même la détruire ou la revendre… Attention cependant, et c’est une nuance que les pirates en herbe ne saisissent pas tout le temps : le joueur est propriétaire d’un support physique contenant, entre autres choses, la copie d’un programme informatique; il ne devient en aucune façon, par l’achat de ce support physique, propriétaire du programme et ne détient aucun droit sur le jeu lui-même. D’où l’interdiction de copier ou modifier le jeu, la location du support physique contenant le jeu étant encore sujette à débat.

Ces quelques considérations légales, identiques dans tous les pays qui reconnaissent le droit de propriété intellectuelle, vont avoir pour conséquence directe l’apparition, assez récente pour le coup, de mesures de limitations de l’utilisation dans les jeux : connexion internet obligatoire, sauvegarde ineffaçable, impossibilité pour le second utilisateur de se connecter aux serveurs de jeu en ligne et, c’est de là qu’est issu mon propos, impossibilité d’utiliser le jeu en dehors de sa zone commerciale… Ce faisant, les développeurs de jeux vidéos tentent de casser l’intérêt du marché de l’occasion, en rendant leurs créations partiellement inutilisables dès leur revente. Bien que légales (tant que personne n’aura réussi à prouver l’intention de nuire des éditeurs de jeu… Mais il faudrait pour ce faire rentrer dans un combat judiciaire dont l’issue est toujours incertaine mais le coût toujours élevé!), ces pratiques sont dangereuses car elles érigent le distributeur de jeu, et plus encore le joueur lui-même, en ennemis! En effet, le joueur est désormais officiellement une vache à lait à qui il faut absolument faire payer le prix fort et qu’il faut punir dès lors qu’il s’écarte du droit chemin de l’achat neuf!

Au-delà de ces considérations purement théoriques, les nouvelles pratiques de l’industrie vidéoludique posent de sérieux problèmes pratiques qui rendent l’utilisation des jeux limités contraignante, y compris pour le premier acheteur : comment jouer à Assassin’s Creed en déplacement (Steam a depuis longtemps prévu un mode off-line), comment recommencer Resident Evil Mercenaries à zéro, comment jouer aux jeux 3DS qui ne seront pas distribués en dehors du Japon? Même un joueur « honnête » (dans l’esprit de nos dealers d’amusement) se trouvera immanquablement gêné et limité par ces nouvelles mesures. Sans compter que cette attitude porte atteinte à une dynamique mise en place depuis longtemps dans le monde vidéoludique : les gamers pur jus achètent les nouveautés à leur sortie et les revendent vite, finançant ainsi leurs nouvelles acquisitions, tandis que les autres, moins passionnés, moins riches ou tout simplement collectionneurs, se fournissent sur le marché de l’occasion, finançant indirectement l’acquisition des nouveautés par les gamers… Un cercle vertueux qui a permis à l’industrie de faire exploser ses profits en quelques décennies!Tout cela n’intéresse pas Nintendo, Ubisoft et Capcom, qui en veulent toujours plus, nonobstant le fait que la vente d’occasion se pratique dans tous les autres domaines (DVD et CD en tête!). Le problème, c’est qu’à force de presser le consommateur et de le traiter comme un moins que rien, on finit par le faire fuir… et qui est là à la réception, proposant des jeux libérés de toutes limitations, accessibles instantanément et mondialement, et le tout gratuitement? Une chose est sûre : je jouerai à Starfox 64 3D, mais je ne paierai pas une seconde fois. Reste à savoir qui, du zonage de la 3DS ou de la protection logicielle de ses jeux, sautera en premier…

Bob Dupneu

3 comments

  1. Très bon billet, excellent article 🙂
    Ce que semblent oublier ces grandes entreprises, quelle qu’en soit les raisons, c’est que M. tout le monde, lorsqu’il s’achète quelque chose, entend bien en jouir pleinement et sans restriction. Et pour changer ça, ça va être dur… (dixit l’industrie du cinéma ou de la musique). La corrélation entre ce phénomène protectionniste et le piratage est tout à fait judicieuse et on se retrouve toujours avec un principe de vase communicants. Toutefois le zonage est une aberration à l’heure de la mondialisation…

    « Saviez-vous par exemple que pour éviter la cession à prix cassé des invendus, Micromania et consorts sont contractuellement tenus de faire détruire par un professionnel et sous contrôle d’un huissier de Justice des milliers de jeux tous les mois? »

    Non je ne savais pas O_o … quel beau gâchis, qu’on ne vienne pas nous parler normes « éco-machin-chose » dans le JV après 😉 (enfin pour le coup c’est sûr que le dématérialisé c’est mieux).

  2. Merci!

    Je pense également qu’avant de prendre la « grosse tête » et de tenter d’exploiter leurs clients comme le font les autres entreprises du divertissement, les acteurs du secteur vidéoludique devraient se rappeler que le jeu vidéo n’est pas encore aussi bien ancré dans la culture populaire que le cinéma et la musique… et que lorsque l’effet de mode aura passé, il n’y aura plus que les « vrais » joueurs, ceux-là même qui sont touchés par les mesures libertaires évoquées, pour faire tenir le secteur.

    Se mettre à dos cette catégorie de joueurs n’est pas très intelligent, la caractéristique première du grand public étant d’être versatile… Que les sceptiques prennent une pelle et aillent creuser dans les déserts américains, ils y trouveront « quelques » exemplaires d’un certain E.T. invendus… 😀

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