Game Over Joypad

Il y a quelques mois, à l’occasion d’une revue de presse, je faisais état des difficultés traversées par les deux papys de la presse console, à savoir Joypad et Consoles +. J’aurais préféré me tromper, mes les faits viennent confirmer mes craintes : Joypad publie ce mois-ci son dernier numéro, le 222.

Même si j’ai toujours eu une petite préférence pour Consoles +, j’appréciais le style et le courage rédactionnel de Joypad, et sa disparition m’attriste, d’autant plus que les chiffres de vente de Consoles + ne sont guère plus reluisants que ceux de Joypad, ce qui ne laisse rien présager de bon pour les mois à venir. Sauf à ce que les lecteurs de Joypad se ruent en masse sur Consoles +, ce dont je doute…

Une fois encore, on pourra pointer du doigt le grand méchant Internet pour expliquer cette disparition. L’argument, souvent repris, me paraît un peu facile. Il suffit de voir les chiffres de vente de Jeux Vidéo Magazine et le succès grandissant des mooks relatifs à notre loisir pour comprendre qu’il y a encore un marché pour la presse vidéoludique. Par ailleurs,  Joystick est toujours là, non? Il est vrai que Yellow Media, qui possède et édite tous les magazines cités, est au bord du gouffre. Mais cela suffit-il à expliquer la mise à mort de Joypad? Probablement pas.

Il y a, à mon sens, deux autres explications : le prix et les derniers rédacteurs du mensuel. Concernant le prix, le problème est simple : entre un Jeux Vidéo Magazine qui se bat pour rester en dessous des 3 euros et les mooks qui proposent un contenu haut de gamme pour 9 euros environ, les – presque – 7 euros de Joypad avaient du mal à passer, même pour les fidèles. Certes Joypad, tout comme Consoles +, proposait un habillage de qualité (couverture à dos carré, reliure thermocollée et non agrafée – ceux qui lisent régulièrement le courrier des lecteurs de Jeux Vidéo Magazine comprendront – efforts au niveau de la mise en page et de l’impression…), mais une publication mensuelle traitant en majeure partie de l’actualité, et conservant un format magazine, ne devrait pas se soucier de survivre aux affres du temps. Le positionnement de Jeux Vidéo Magazine est à ce titre plus intelligent : une qualité physique « limite », au profit d’un prix plancher.

Pour ce qui est de la responsabilité de la dernière équipe en poste, on pourra me rétorquer qu’il est un peu facile de faire porter le chapeau aux derniers arrivés, mais force est de constater que depuis quelques années les lecteurs faisaient état d’un certain mécontentement : magazine devenu froid, un peu prétentieux, trop concentré sur les aspects business du monde vidéoludique… en un mot comme en cent, plus assez de fun. Et pour seules réponses, une rédaction s’obstinant dans ses choix et des rédacteurs se considérant comme de grands journalistes, oubliant qu’il ne faut jamais se prendre au sérieux, surtout dans le domaine des jeux!

Ce dernier numéro est assez symptomatique de la fatuité dont Joypad s’est souvent rendu coupable ces dernières années. Ainsi, tout ce que l’équipe propose en guise d’adieu après 20 ans passés à squatter les maisons de la presse, ce sont les avis des rédacteurs les plus récents ainsi que quelques commentaires portant sur les dernières couvertures. Ces fameuses couvertures, il y aurait beaucoup à en dire… a commencer par le fossé séparant celles de la grande époque et les dernières, faussement élaborées et trop souvent hors-sujet, à l’image de celle du n°205 présentée comme la plus emblématique de toutes (et qui ne présentait au final qu’une prétentieuse photo de David Cage, qui aura décidément bien réussi dans son entreprise de cirage de pompes !). Je pense que les couvertures de Joypad sont pour moitié responsables du naufrage, ayant moi-même renoncé plus d’une fois à acheter le mensuel tant l’accroche me refroidissait…

Quant aux avis des rédacteurs… Outre le fait que leurs états d’âme ne présentent aucun intérêt, on ne peut qu’être dérangé par le manque de remise en question. Seul Denis Brusseaux concède que la suppression des signatures pendant deux ans a été une erreur – alors même que les lecteurs qui avaient contesté ce choix s’étaient fait opposer une fin de non-recevoir pour toute réponse. Autrement : rien, nada! Leur vision du magazine était la meilleure, sans doute trop élitiste ou avant-gardiste… La palme revient à Damien Bigini, qui en viendrait presque à accuser ses lecteurs (au moins a-t-il l’honnêteté de concéder ne pas avoir été lui-même lecteur de Joypad avant de rentrer à la rédaction), et se félicite d’avoir mis sur pied un magazine en phase avec l’industrie vidéoludique, pris au sérieux et tout, un peu comme le modèle anglais Edge. Sauf que plaire aux développeurs et éditeurs, c’est bien, plaire aux joueurs, c’est mieux. Et plus intelligent : ce sont eux qui forment le lectorat.

Enfin bref, je pense que Joypad a souffert du même mal que de nombreux acteurs du monde vidéoludique : l’orgueil. Les développeurs, éditeurs, responsables de vente, journalistes ainsi que tous ceux qui gravitent dans ce monde, et dont la tête a excessivement gonflée depuis que l’argent coule à flot, ne devraient jamais oublier que le secteur dans lequel ils évoluent est d’une importance très négligeable pour le genre humain, et que les seules raisons qui justifient leur existence sont l’amusement et le rêve qu’ils procurent à leur public. Lorsque l’intellectualisme de bas étage prend le pas sur le fun, c’est le Game Over.

Cependant, et même si Joypad n’était plus que l’ombre de ce qu’il fut autrefois, c’est avec une certaine émotion que j’ai revu les vieilles couvertures du magazine, notamment celles des numéros que j’avais possédés et qui ont fait remonter de vieux souvenirs. Avec Joypad, c’est une part de l’enfance de nombreux joueurs d’aujourd’hui qui disparaît. Et ça, c’est vraiment dommage.

Bob Dupneu

Le premier Joypad que j'ai acheté...

P.S.: Pour les couvertures anciennes, toujours la même adresse.

Par ailleurs

Consoles + fête ce mois-ci ses 20 ans, après avoir proposé le HS « Guerre des consoles » annuel. Le premier annonçait la guerre PS1/Saturn/N64 à venir… Enfin, le massacre serait un terme plus approprié!

Donc bon anniversaire à Consoles +, en lui souhaitant un meilleur destin que son frère ennemi…

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