L'iPhone aura la peau de Nintendo… ou pas!

J’ai eu l’occasion samedi dernier d’assister à une conférence animée par Florent Gorges à la Maison de la Culture du Japon à Paris et consacrée au regretté Gunpei Yokoi, créateur de génie à l’origine notamment du Game & Watch et de la Game Boy. Loin de moi cependant l’idée de faire un compte-rendu de cette conférence (très sympathique au demeurant) ou de reprendre les propos de Florent Gorges pour rédiger quelques paragraphes sur le susdit (arf! arf! J’adore ce mot!) Yokoi : pour ceux que le sujet intéresse, une très bonne biographie traduite par M Gorges est publiée aux éditions Pix’n Love.

Non, le sujet d’aujourd’hui est un peu différent, mais il a germé dans mon esprit à la fin de cette conférence. Si vous êtes habitués à ce genre d’événements, vous savez probablement qu’ils se terminent systématiquement par la pénible séance de question, véritable terrain de jeu pour les quelques parasites en quête de reconnaissance qui ne manquent jamais de s’inscruster dans le public. Malheureusement la conférence de Florent Gorges n’a pas dérogée à la règle et nous avons du subir les fameuses « questions » qui, dans l’ensemble, consistaient essentiellement pour les orateurs à étaler leurs rares connaissances glanées ça et là sur le Net.

Si encore la séance s’était arrêtée là. Mais non! La pire chose qui pouvait arriver s’est produite : des fanboys Apple s’étaient introduits dans la salle! (oui, bon, ok, il y a pire dans la vie… mais quand même…). Du coup, nouvel échange entre le conférencier et son public, les pommés réécrivant l’histoire avant de s’improviser devins : ainsi, la pensée de Gunpei Yokoi, qui a fortement contribué au développement de la stratégie industrielle de Nintendo, ne serait-elle qu’une simple déclinaison de ce qu’accomplit Apple depuis les origines. Par ailleurs, la disparition du génial créateur serait une perte si importante pour la firme de Kyoto que son avenir s’assombrirait de jours en jours, l’iPhone menaçant la suprématie du plombier sur le marché du jeu nomade, réalité confirmée par les pertes historiques de Nintendo l’année passée…

Autant ne pas faire durer le suspense plus longtemps : les élucubrations de nos braves petits soldats de la marque à la pomme ont été balayées d’un revers de main par Florent Gorges (il faut dire que s’attaquer frontalement à Nintendo en présence du spécialiste français – voir mondial – sur le sujet, par ailleurs authentique admirateur de la première heure de la firme nippone, c’était gonflé. Stupide, mais gonflé!).  Les réponses apportées sur le vif par le conférencier sont d’ailleurs à l’origine de la présente bafouille, car l’échange auquel j’ai assisté s’avère après réflexion très représentatif des interrogations actuelles relatives à notre media.

Les oracles de toutes engeances prédisent en effet que deux modèles économiques vont s’affronter dans les années à venir pour la maîtrise du marché vidéoludique : d’un côté les consoles dédiées pour lesquelles on achète un jeu spécialement développé pour un support et de l’autre les jeux fonctionnant indifféremment sur divers matériels (je veux parler des applications pour smartphones et tablettes). Un choc entre deux mondes en somme, l’un dominé par le hardware, l’autre par le software. Or, si l’affrontement n’en est qu’à ses balbutiements en ce qui concerne les jeux « sédentaires », il fait déjà rage dans le domaine des jeux nomades, avec une première victime, la PSP Go, qui, à force d’hésiter entre le meilleur des deux mondes, n’a pas rencontré son public.

Tout le monde s’accorde à dire en effet qu’un combat à mort s’est engagé entre les Nintendo DS et 3Ds d’un côté et les smartphones (anciennement iPhone seul) de l’autre, combat auquel devrait s’associer la toute récente Vita, dont la compatibilité 3G est en elle-même une déclaration de guerre faite aux smartphones! Et quelle qu’en soit l’issue, la sphère vidéoludique a rendez-vous avec son histoire : il ne s’agit pas, au final et malgré ce qui est beaucoup dit et écrit, d’une confrontation entre le jeu casual et le jeu hardcore – le marché étant assez vaste pour les deux – ni même entre le jeu « en boîte » et le jeu dématérialisé – il est encore trop tôt – mais bien d’une lutte à mort entre deux modes de distribution, deux façons opposées de penser le jeu vidéo, deux philosophies antagonistes : d’un côté la portabilité, de l’autre la spécialisation.

Le marché des jeux sur smartphones est évidemment centré sur la portabilité, surtout depuis l’arrivée des concurrents de l’iPhone : les appareils fonctionnant sous Android sont légion, mais leurs performances diffèrent assez fortement d’un modèle à l’autre. Le développeur qui souhaite proposer un jeu sur l’Android Market devra donc s’adapter à l’appareil le plus faible techniquement s’il veut couvrir tout le marché et ne pas subir de plaintes de la part de consommateurs frustrés de ne pas pouvoir faire fonctionner une application achetée. S’en suit un nivellement par le bas de la qualité technique des jeux; certes, la créativité est là, mais il est un peu dommage d’utiliser de véritables petites merveilles technologiques pour faire tourner des jeux réalisables en Flash. Cependant, le véritable problème n’est pas à rechercher du côté de la qualité technique, mais de celui des systèmes de jeu : si les écrans tactiles de nos iPhone-like sont des modèles d’ergonomie pour bien des choses, il n’en demeure pas moins vrai que leur potentiel ludique est très faible.

Regardons du côté des portables : les jeux sortis sur NDS, 3DS et désormais Vita partagent au moins une chose : les fonctions tactiles ne sont quasiment jamais au coeur du gameplay, et, lorsque c’est le cas, les jeux concernés sont plutôt casuals (Cooking Mama, Trauma Center) ou dérivés des visual novels (Hotel Dusk, Ace Attorney)… A quelques rares exceptions, aucun grand jeu n’a pu à ce jour faire l’impasse sur les contrôles classiques (au rang des exceptions, il faut tout de même citer les Zelda de la DS… qui nécessitent tout de même un stylet absent de la majorité des smartphones). Certains types de jeu ne peuvent d’ailleurs tout simplement pas se passer de commandes physiques indépendantes de l’écran (baston, course et sport notamment). Il suffit de voir les tentatives désespérées des studios de porter leurs grandes licences (je pense notamment à Street IV et plus récemment Soulcalibur) sur smartphones : techniquement, c’est tout à fait honorable, mais le passage au « tout tactile » impose une telle simplification des commandes que l’intérêt ludique est proche du néant!

Dans le monde des consoles, on assiste depuis les origines à une course à l’armement : pendant longtemps, la question n’a pas été celle de la taille, mais celle du nombre (de bits), avant que les joueurs ne se passionnent pour le nombre de polygones affichables simultanément. Dernièrement, et même si la surenchère technologique est toujours de mise, les affrontements entre hardware se sont déplacés sur un autre terrain, celui des fonctionnalités. Ca a commencé avec  Sony qui vendait sa PS2 autant comme un lecteur DVD que comme une console, suivi par Microsoft vantant les capacités online de la Xbox… Le duel DS/PSP a représentera à lui seul cette évolution de la façon dont les constructeurs nous vendent leurs supports : Nintendo concentrera toute sa campagne de communication sur le potentiel ludique du double écran et des fonctions tactiles, tandis que Sony mettra en avant les capacités multimédia de sa console, ce qui assurera aux deux consoles des départs très encourageants, malgré un line up indigent, aussi bien pour la Sony que pour sa concurrente.

Le phénomène d’opposition frontale entre les plate-formes vidéoludique indépendamment de leurs ludothèques a été popularisée par Consoles + en 1996 (ou 1995… ça fait longtemps et ma mémoire n’est plus ce qu’elle était!) lorsque paraît un hors-série spécial « Guerre des consoles ». Depuis, le terme est passé dans notre vocabulaire de ludophiles, et les guerres de tranchées entre fanboys à grand coup d’arguments en carton font rage sur presque tous les forums qui traitent de près ou de loin du jeu vidéo. Il est évident que c’est au final sa ludothèque qui détermine l’intérêt d’une console, et que les caractéristiques techniques n’entrent pas véritablement dans la composition du facteur fun. Il ne faut cependant pas négliger pour autant l’importance de l’affrontement technique : à force de vouloir prendre le dessus sur leurs adversaires à grands renforts de puissance de calcul et de fonctionnalités annexes, les constructeurs offrent à chaque génération de nouveaux outils, ouvrent de nouvelles voies aux développeurs; si Sony n’avait pas décidé de supplanter techniquement la Super Nintendo, nous jouerions peut-être encore en 2D! Pour faire bref, je crois sincérement que la compétition technologique a du bon, même si elle ne doit pas faire oublier que le coeur de notre loisir demeure le jeu…

Revenons-en à nos adorateurs de la firme de Cupertino. Leur propos était, au final, que le mode de distribution développé par Apple (je parle bien de développement : le téléchargement de logiciels via une plate-forme unique existait avant l’iPhone, rappelez-vous de Steam notamment) sonnerait le glas de Nintendo et consorts, dont la pensée obsolète (à savoir le développement de jeux spécifiques à une plate-forme donnée) n’était plus adaptée au marché. Je.me.marre! Vraiment. Que le jeu dématérialisé aura à terme la peau du jeu en boîte, je veux bien l’entendre (même si j’en doute à titre personnel). Que le « cloud gaming » soit appelé à se développer, ça me paraît probable (il ne s’agit au final que d’une évolution extrême de la dématérialisation, mais qui ne prévoit pas la suppression des commandes physiques). Mais qu’on soutienne que le marché des jeux pour smarphones (composé pour moitié d’applications simplettes et répétitives qui peuvent effectivement se jouer en tapotant sur l’écran, et pour moitié de portages injouables ou simplifiés à l’extrême de grosses licences) est appelé à supplanter le marché des consoles portables, qui comporte nombre de jeux au gameplay profond et précis, je trouve cela cocasse. Et pourtant, il me semble que c’est une idée en vogue depuis quelque temps (un des pontes de BigN ayant même déclaré que l’adversaire désigné de Nintendo dans le jeu nomade est Apple), notamment dans la presse vidéoludique.

Une chose est sûre cependant : les smartphones reprendront à tonton Mario les joueurs occasionnels qui ont fait les beaux jours de la Wii et de la DS. Mais de là à provoquer la fin des consoles portables… Il y aura toujours assez de ludophiles purs et durs pour justifier la mise sur le marché de nouvelles portables et le développement de bons jeux. Car si les pommés étaient mignons de naïveté en affirmant qu’Apple aurait la peau de Nintendo, il faut bien admettre que l’arrivée des smartphones sur le marché du jeu nomade aura à terme de grosses conséquences : privés de la manne économique que représentent les casual gamers, a qui il est possible de refourguer à peu près n’importe quelle daube, les majors du secteur, et notamment Nintendo qui a bien craché dans la soupe depuis quelque temps, seront obligés de revenir vers leur audience traditionnelle, composés de gamers exigeants et informés, et par conséquent de se retrousser les manches pour proposer des jeux de qualité. Le line-up de sortie de la Vita laisse à penser que cette prise de conscience a déjà commencée…

Bob Dupneu

Par ailleurs

Yannick Zicot est mort d’un cancer à l’âge de 33 ans, et c’est bien triste. Pour rappel, Yannick a présenté un temps Level One sur Game One (avec Johann Lefèbvre et Julien Tellouck) suite au départ de Marcus (entre 2002 et 2004), avant de partir sur Canal + pour animer « La Kaz » puis créer plusieurs émissions. L’époque à laquelle Yannick faisait le trublion sur Game One demeure une des meilleures de la chaîne, car après une crise assez importante ayant abouti au départ de l’équipe historique et au rachat in fine par MTV, une toute nouvelle équipe pleine de bonne volonté et d’idées a réussi à éviter le naufrage. C’était l’époque de la Game Zone et de Lakmi et Boomy, avec une ambiance détendue et amicale, un peu à l’image de ce qui se passe en ce moment sur No Life, le côté otaku malsain et geek autarcique en moins!

La Kaz était aussi une émission très chouette, que Yannick animait seul, et dans laquelle furent diffusés les animés de GTO et Excel Saga, ainsi que la série à sketches Bertrand.çacom, qui faisait des blagues nerd avant que ce ne soit à la mode. Tout cela a déjà une dizaine d’années, mais je garde des quelques années durant lesquelles Yannick officiait dans notre univers un très bon souvenir, un peu nostalgique maintenant que je sais que ce sympathique personnage ne me fera plus sourire en criant « Ca yééééé ! » au moment de rendre l’antenne. Adieu l’ami, et merci pour ta bonne humeur et tes blagues foireuses…

8 comments

  1. Tu connais déjà mon opinion sur le sujet: j’ai déjà suffisamment abondé dans ce sens 🙂 Je ne crois pas non plus qu’un marché peut brutalement en écraser un autre.
    Dans un autre domaine que je connais pas mal: les tablettes ont elles remplacé les netbooks d’un coup? Non même pas en 2011 malgré l’iPad 2 et les multiples concurrents qui ont eu le temps de naitre. Pourquoi? Parce que les utilisations ne sont pas totalement identiques, et tant que ce sera le cas, il y aura un public pour les deux (enfin le critère prix entre aussi dans la balance). Là où les amateurs de tablettes y voient un magnifique outil de consultation, le netbook reste largement devant comme outil de saisie.

    Alors oui, tant que les smartphones seront limités à leur interface tactile et leur hardware hétéroclite, il faut s’attendre à une capture du marché des petits jeux, face aux vraies grosses productions sur consoles portables. Tout comme les FAIBox et autres TV connectées sont loin de pouvoir rivaliser avec les consoles de salon.

    Ca n’est pas parce qu’Apple a réussi à pénétrer un nouveau marché (les smartphones) avec grand succès que ce tour de force peut être reproduit facilement. N’oublions pas que les smartphones sont plus proches de mini ordinateurs que les consoles portables…

    Yannick, R.I.P, des émissions que je n’ai pas beaucoup connues mais un souvenir d’un gars détendu et franchement agréable.

  2. Oui, je suis moi aussi confiant pour l’avenir de nos portables. Même si je considère l’arrivée des smartphones sur le marché du jeu nomade comme un non-événement, j’apprécie les propos de Fils-Aime qui tendent à démontrer que Nintendo s’inquiète de cette concurrence imprévue : la concurrence sert toujours le consommateur, et comme ni Apple ni Nintendo ne sont du genre à faire des concessions…

  3. De toute façon les jeux smartphone/tablette sont forcément limités par la machine. Elles ne sont pas prévues pour le jeu. Tu ne joues pas à Tomb Raider comme tu écris ou consultes tes mails (quelle perspicacité!). Je ne me fais pas trop de soucis quant à la bataille smartphone/console.

    Là où je suis plus inquiet c’est sur les jeux type facebook ou autre conneries qui amassent des millions d’euros. Les dévs réputés commencent à migrer naturellement vers ce type de « jeux » et ça, ça me fait très peur.

  4. C’est vrai qu’à mon boulot tout le monde joue à Farmville et consorts… n’ayant pas de compte Facebook, je fais vaillamment de la résistance, mais du coup la bande passante est saturée pendant la pause de midi 🙁
    Je ne crois pas trop à la désertion des bons développeurs pour Facebook, car la concurrence est assez rude et assez peu de jeux me paraissent rentables au final. Mais il ne s’agit que d’une impression, et le sujet mériterait d’être creusé… En tout cas, le système de micropaiement a fait le chemin inverse avec l’apparition de ces fichus DLC !

  5. Hmmm malheureusement je crois que même la plus petite merde est rentable sur facebook. La tendance va forcément changer vu que tout le monde « migre » vers le développement de mini jeux facebook et qu’au bout d’un moment ça sera saturé. Mais pour le moment ça rapporte du pognon en masse.

  6. Un peu plus de 4 ans plus tard et l’arrivée de Mario sur la scène d’Apple et sur iOS, je crois qu’on tient notre réponse 🙂

  7. C’est vrai que sur ce coup, Nintendo m’a un peu surpris… Mais au regard de ce que la société a produit ces derniers temps, ce n’est malheureusement pas si étonnant, et je pense que l’idée sous-jacente demeure d’imposer sa marque et sa mascotte dans le camp ennemi pour attirer (ou faire revenir…) les joueurs dans son giron. Les rumeurs sur la future NX laissent à penser que Nintendo n’a pas dit son dernier mot en matière de jeu nomade, car si la barrière technologique a explosé depuis quatre ans, le délicat problème de l’ergonomie reste d’actualité.
    L’évolution s’annonce intéressante. Quand en plus Sony annonce lancer des ponts en direction du PC, on est en droit de penser que notre média va au-delà d’importantes mutations !

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