Le football en jeux vidéo n’a pas toujours été le duel annuel entre FIFA et PES que nous connaissons aujourd’hui. Avant l’arrivée de ces cadors, le football a fait l’objet de différentes tentatives d’adaptation, dont la plus célèbre de l’ère pré-PES est probablement Kick-Off. A cette époque préhistorique, les joueurs consoles n’avaient pas grand-chose à se mettre sous la dent en matière de football virtuel. Mais les vieux comme moi se souviendront probablement avec émotion de Nintendo World Cup sur NES.
Avec sa boîte verte et jaune illustrée de joueurs des années 80, le jeu a illuminé les après-midis de bien des enfants au début des années 90. Pour ma part, j’y jouait chez un ami, avant de lui racheter la cartouche lorsqu’il revendit sa NES au profit d’une Super Nintendo (console sur laquelle nous devions par la suite passer de nombreuses heures à jouer à International Superstar Soccer, l’ancêtre de PES). Si le jeu propose bien deux équipes, deux buts et un ballon, il ne s’encombre pas des règles précises du foot, et ce très probablement en raison des limites techniques de l’époque.
De là, la meilleure façon de gagner – outre les supers coups à la Olive et Tom – reste encore de mettre K.O. toute l’équipe adverse, à grand coups d’épaule dans le dos et de tacles à la cheville. Mais cette violence exacerbée n’est pas la seule particularité du titre : en effet, dans ce jeu le joueur ne contrôle d’un seul personnage, pouvant certes donner des ordres très sommaires à ses coéquipiers, mais qui reste assez souvent en retrait de l’action, et même en-dehors de l’écran.
Expliqué comme cela, le jeu semble un peu foutoir. Et il l’est. Mais il s’agit d’un bazar jouissif, à l’issue duquel il n’est pas rare de terminer 30-0 contre l’ordinateur, et avec autant de buts mais mieux répartis entre plusieurs joueurs (jusqu’à quatre). Étrange dans son fonctionnement, le jeu l’est tout autant dans son graphisme, qui fait intervenir de petits bonshommes au physique assez particulier et sans aucun rapport avec les joueurs fièrement affichés sur la jaquette. Ce qui n’interpellait pas plus que cela les joueurs des années 90 pousse cependant le retrogamer des années 2010 à s’interroger : mais d’où vient ce jeu ?
La réponse est assez facile à trouver, et désormais bien connue : sous couvert de « licence exclusive » de Nintendo en France, Nintendo World Cup est en réalité un jeu entièrement développé par Technos Japan mettant en scène la mascotte de l’époque, j’ai nommé Kunio kun, petit loubard héros de beat’em all qui sera très rapidement recyclé dans toute une série de jeux, à la manière d’un Mario. Le jeu connu chez nous sous le nom Nintendo World Cup n’est qu’un épisode de cette série, dont le titre original est Nekketsu Kōkō Dodgeball-bu: Soccer-hen / 熱血高校ドッジボール部サッカー編 (A vos souhaits !). L’utilisation du terme « dodgeball » (balle au prisonnier chez nous) n’est pas due au hasard : avant de se mettre au football, les petits voyous du lycée de Nekketsu dont fait partie le susnommé Kunio ont pratiqué la balle au prisonnier, là encore selon des règles particulières, dans un jeu qui a marqué son époque, principalement sur Neo-Geo (qui est un portage tardif – 1996 alors que le premier épisode sur PC Engine date de 1987 et que Nintendo World Cup date de 1990 – mais probablement la meilleure version).
Si l’histoire de Kunio kun éveille votre curiosité, vous devriez jeter un oeil sur le Pix’n Love n°7, qui revenait en détail sur la création de ce personnage, a qui l’ont doit – excusez du peu – les légendaires Double Dragon (dont je parlerai bientôt ici de sa non moins légendaire adaptation en film !). Ce qu’il est intéressant de noter à propos de ce personnage, c’est qu’il représente une racaille japonaise des années 80 (GTO, ça vous dit quelque chose?). Bien que ce type de personnage soit aujourd’hui connu dans le microcosme « japanophile », les japonais considéraient dans les années 80-90 que ce type de personnages ainsi que l’univers dans lequel il évolue (les rivalités estudiantines) demeureraient incompréhensibles pour les occidentaux. Comme beaucoup de jeux japonais de cette époque, Nintendo World Cup est donc le fruit de la localisation d’un grand succès commercial japonais.
Je me suis amusé à rechercher les différences entres les versions japonaise et occidentale (en tout cas celle vendue en France) du jeu. Outre le packaging totalement différent et conforme aux canons de l’époque – inspiration manga au Japon, illustrations réalistes en France – le jeu a fait l’objet d’un « reskinage » important ainsi que d’un changement de contexte. Alors que la version japonaise mettait en scène une compétition entre lycées – le lycée des intellectuels, celui des bosozoku, etc – la version occidentale propose de jouer une Coupe du Monde. Le joueur occidental a donc l’opportunité de choisir une équipe nationale parmi 13, dont la France. Il est à ce sujet rigolo de noter le racisme – traditionnel mais assez naïf et inoffensif – des japonais dans ce reskinage : les camerounais sont bien noirs, les hollandais bien blonds, les français très roses et les japonais… vraiment jaunes !
Autre détail amusant : le joueur contrôle l’équipe du Lycée de Nekketsu dans la version japonaise, chaque joueur ayant un design particulier. Dans la version française, l’équipe du joueur est la même quelque soit le pays, à l’exception de la palette de couleur, même si il sélectionne le Japon, et elle est différente de l’équipe de Nekketsu. Mais l’équipe japonaise contrôlée par l’ordinateur est bien celle de Nekketsu, atteinte d’une crise de jaunisme 😀
Au-delà de ces différences graphiques, la version Japonaise profite d’un background plus développé, une introduction ainsi que des transitions venant rythmé la partie et développer un scénario certes léger, mais présent. Ces différences sont visibles sur la vidéo ci-après.
En vérifiant la taille des roms des deux versions du jeu, on s’aperçoit que cette différence de contenu représente 39,5% (la rom compressée japonaise fait 133 ko, la rom compressée française 105 ko) ! Même si de petites différences concernant les algorithmes de compression peuvent fausser légèrement ce calcul, la différence demeure notable. Le jeu a perdu beaucoup lors de la localisation, notamment ce supplément d’âme propre aux productions japonaises de l’époque. C’est dommage, mais les contraintes techniques et économiques de l’époque ne permettaient probablement pas de faire mieux… Mais le portage occidental demeure propre, et le contenu manquant ne m’a jamais fait défaut lorsque je passais des heures sur ce jeu, qui demeure aujourd’hui une de mes madeleines de Proust !
Bob Dupneu
Pour le fun, quelques captures d’écran comparant les deux versions, ainsi qu’une vidéo montrant les coups « à la Olive et Tom » du jeu.
Haaaa World Cup !! J’adoraaaaaais ce jeu… J’y ai passé des heures à enfiler des buts à coups de super tirs.
Effectivement, tabasser toute l’équipe adverse était possible, mais ça prenait du temps 🙂
Merci pour ces bons souvenirs, et surtout sur l’éclairage japonais du jeu que je ne connaissais absolument pas !
Heureux ceux qui comme nous ont connu Nintendo World Cup dans leur jeunesse ! Pour ma part je regrette que les jeux de foot (et de sport en général) soient désormais si sérieux…
des barres, on se tapait des tournois des journees entieres
te rappelles tu comment on faisait les supers shoots ?
Merci