Bob tient à préciser que cet article était prévu depuis plusieurs semaines, et qu’il n’a aucun rapport avec l’épidémie de Covid-19. Non, je dis ça parce qu’entre cet article et le précédent doté d’un titre racoleur, on pourrait jaser…
« Bob a rejoué à… » serait plus juste : The Last of Us est un des rares jeux que j’ai acheté et parcouru dès sa sortie sur PS3, il y a déjà sept ans. Une expérience inoubliable, un de ces jeux qui marquent le parcours d’un ludophile, suffisamment pour que l’emblème des Lucioles rejoigne Space Invaders ou Zelda dans l’image d’en-tête du site ! La sortie un an après de sa version remasterisée sur PS4 m’avait cependant laissé indifférent à l’époque, car trop proche dans le temps de l’expérience originale. Seulement voilà, à force de m’exciter tout seul sur les trailers de The Last of Us Part II, je n’ai pas pu résister à la version remasterisée en « Playstation Hits » à 15€ !
Bon, autant mettre les pieds dans le plat de suite : le « remaster » était bel et bien – comme je le pressentais à l’époque – une vaste arnaque, puisque les différences graphiques entre les versions PS3 et PS4 sont assez anecdotiques, notamment pour un joueur console comme Bob qui se fiche bien que le jeu affiche 30 ou 60 images par secondes . Mais le jeu d’origine était si beau qu’il n’avait pas besoin de ce lifting aussi léger qu’inutile. La bande-son également demeure intouchée, mais pourquoi y toucher ? La version PS4 inclut tout de même et d’origine le DLC « Left Behind« , apprécié à l’époque par la critique mais sur lequel j’avais fait l’impasse car « les DLC c’est le Mal » (© Bob Dupneu).
Reste heureusement un jeu grandiose dans lequel je me suis replongé avec plaisir. Il est très rare que je retourne sur un jeu qui m’a marqué, car je préfère conserver un souvenir intact des émotions ressenties, alors que le temps est souvent rude avec les œuvres vidéoludiques. The Last of Us est à ce titre encore une exception : si les émotions étaient forcément moins fortes qu’en découvrant le scénario, cette nouvelle escapade post-apocalyptique m’a permis de saisir toute la profondeur de ses personnages, à commencer par Joël ou, comme je le nomme désormais…
Joël la grosse enflure
Eh oui : même si cela ne m’avait pas paru aussi évident il y a sept ans, The Last of Us nous propose d’incarner un méchant. Et pas un petit méchant, non ! Une véritable ordure qui fait dans le trafic d’armes et n’hésite pas à torturer et exécuter froidement un concurrent. Un ancien escroc qui avoue à Ellie son passé de leurre à voyageurs égarés – du genre qui finissent par pourrir dans une chambre froide après avoir été dépouillés. Un tueur de sang-froid qui n’hésite pas à tuer tous ceux (et tout ce) qui se trouve sur son chemin… Et enfin un égoïste sans vergogne qui prive l’humanité de la possibilité de trouver un remède à son mal.
The Last of Us met en scène des situations dures et des personnages sans pitié, mais sa grande force réside probablement dans ce parti-pris : le héros n’en est pas un et ses sentiments sont tout sauf altruistes et élevés. Si Joël accompagne Ellie dans son périple, c’est d’abord pour le gain, ensuite par fidélité envers son associée/compagne, puis par solidarité envers son frère. La personnalité de Joël évite ainsi le manichéisme propre au héros : s’il lui reste un peu de compassion pour ses proches, il ne semble plus avoir ni intérêt ni espoir pour le genre humain et la société. Les choix de Joël sont ceux d’un écorché vif qui a perdu son humanité, presque autant que les infectés qu’il décime. Et comme eux, son salut semble se trouver en Ellie ou, comme je la nomme désormais…
Ellie le remède sur pattes
[Spoiler alert] Ellie est immunisée au virus qui annonce la fin de l’espèce humaine, et incarne donc l’espoir de trouver un remède à ce mal, en se livrant à la recherche médicale [/spoiler alert]. Mais avant même de se retrouver sous le scalpel des médecins, Ellie soigne autour d’elle, à commencer par Joël. Car si le virus qui sévit a contaminé notre avatar – transformant un père aimant en survivant sans âme – Ellie va petit à petit le guérir et lui permettre de retrouver une part d’humanité. Ceci se ressent dans les actions du barbu, mais également par les discussions entre Ellie et Joël, qui se développent au fil de l’aventure.
Mais Ellie ne soigne pas que Joël : elle est un remède pour tous ceux qui l’entoure. A commencer par Tess, la partenaire de Joël, aussi pourrie que lui mais qui s’ouvre plus vite et s’offre même une fin héroïque. Par son comportement, Ellie force également la main de Joël pour qu’il la mène au terme de son périple, assurant ainsi la survie de Tommy, frère de ce dernier, en charge d’un village. Dans Left Behind, Ellie convainc également Riley de ne pas partir avec les Lucioles et, de ce fait, de privilégier la vie à la mort. Enfin, l’attention très particulière que lui porte David, le cannibale pédophile, révèle la véritable nature de ce dernier à ses compagnons d’infortune, dont les discussions laissent comprendre une remise en question de ses méthodes par ses hommes, et donc l’évolution probable du village anthropophage vers un mode de survie plus sain.
La pureté infantile d’Ellie renvoie chacun des protagonistes rencontrés à sa propre déshumanisation, provoquant en lui une sorte de prise de conscience, à la manière de la réaction produite par un vaccin. La dimension philosophique d’Ellie se heurte d’une certaine façon à son immunité physique au virus, et de cette confrontation apparaît la véritable nature des Lucioles, ou comme je les nomme désormais…
Les Lucioles, le feu dans la caverne
Ceux qui ont atteint la classe de Terminale et ne ronflaient pas en cours de philosophie se rappellent probablement de l’allégorie de la caverne de Platon (les autres n’ont qu’à cliquer sur le lien !). Les messages de propagande des Lucioles que l’on peut trouver un peu partout dans le jeu présentent le groupuscule comme étant une lumière dans la nuit, un phare que l’on peut supposer à même de mener les survivants de The Last of Ur à bon port. Les Lucioles sont ainsi assez directement opposées aux militaires, reliquats d’un pouvoir étatique déchu. Les bons contre les mauvais du coup, sentiment d’autant plus prégnant que Joël et Tess sont des contrebandiers, par définition en opposition avec le semblant d’ordre établi. Et la scène d’ouverture montre une armée dépassée par les événements qui assassine la fille de Joël. Des vrais méchants, quoi.
The Last of Us a ainsi dès le début un parti-pris assez innovant en comparaison des œuvres de fiction post-apocalyptiques contemporaines : dans le monde de Joël et Ellie, l’État n’existe plus qu’à travers l’armée, qui n’est qu’une faction comme une autre et contrôle une partie du territoire, en concurrence avec les chasseurs, les cannibales et les communautés comme celles de Tommy. L’armée, toute-puissante en début de jeu dans la zone de quarantaine, est d’ailleurs montrée défaite en d’autres lieux : matériel dérobé par les chasseurs, cadavres de soldats exécutés, graffitis appelant à la révolte, zones de quarantaine perdues… L’État a donc échoué, et des discussions entendues ça et là font comprendre que l’armée rationne la population sous son contrôle, pour se garder la part du lion. Pas très service public tout ça…
Le vieux monde est donc dans The Last of Us un antagoniste duquel le salut ne peut pas venir, alors qu’il est souvent présenté dans d’autres œuvres sous un angle plus positif : dans « The Walking Dead » il est incarné par Rick, le héros policier, dans « Je suis une légende », Will Smith incarne un chercheur gouvernemental, dans « Interstellar » le monde est une fois de plus sauvé par la NASA… Les exemples se multiplient et lorsque l’État n’est pas présenté sous un jour positif, il n’est tout simplement plus évoqué car trop ancien, comme dans « Mad Max » ou « Waterworld ». Mais il serait faux et réducteur de penser que Naughty Dog a fait de l’État un méchant pour lui opposer les gentilles Lucioles !
En effet, en avançant dans le jeu, il apparaît que les Lucioles défendent leur propre intérêt et ont une vision assez dogmatique. Le personnage de Marlène les incarne ainsi parfaitement : recherchée par les militaires, il ne s’agit pas d’une gentille pacifique puisqu’elle fait dans le trafic d’armes et recrute des mineurs comme Riley pour sa guérilla. L' »hôpital » des Lucioles s’apparente à un territoire conquis, gardé par des tueurs armés, au même titre que les zones précédemment traversées. Tommy, un des rares protagonistes rencontré a vivre en paix et à se projeter dans l’avenir – le joueur observateur aura remarqué que de toutes les factions rencontrées, seule celle de Tommy ne se contente pas de finir les restes du monde d’avant mais tente de le faire repartir, tel cette turbine électrique – s’est d’ailleurs éloigné de Marlène et des Lucioles.
Les Lucioles sont donc des agents de mort, au même titre que les militaires, les cannibales et les chasseurs. Mortifères jusqu’à l’extrême, elles projettent même de tuer Ellie, mon petit remède sur pattes. Elles ne sont donc pas un phare guidant les marins perdus dans l’obscurité, mais un vulgaire feu de paille qui renvoie une projection déformée des autres factions et offre une vision réconfortante mais artificielle du monde. Et c’est en tenant la main d’Ellie que Joël passe ce feu pour sortir de la caverne, et y rejoindre son frère, qui lézarde déjà au Soleil et a choisi la vie à la mort. Certes le dernier acte de Joël consiste en une énième et ultime concession à la Faucheuse, mais lorsqu’il affirme à Ellie qu’il en existe d’autres comme elle et que les Lucioles ont cessé de chercher un remède, il ne ment pas : comme les autres factions, les Lucioles ne cherchent plus à sauver le monde mais à le dominer, et comme Ellie, d’autres survivants ont conservé leur humanité.
Et la suite ?
Mon interprétation du périple de Joël et Ellie est évidemment subjective, et peut-être contrariée par The Last of Us : American Dreams, préquelle en bande dessinée que je n’ai pas encore lue, mais je la partage malgré tout, à chacun de se faire son avis selon les émotions ressenties en parcourant ce monument vidéoludique. Notez bien que mon analyse du jeu – et de sa mémorable scène finale – était différente la première fois : mon avis sur les Lucioles était moins sévère, et la déclaration finale de Joël m’apparaissait comme un odieux et égoïste mensonge, qui m’avait laissé pessimiste sur l’avenir du binôme.
Cette nouvelle partie de The Last of Us m’offre donc une toute nouvelle compréhension de l’aventure – et m’a également permis de redécouvrir des parties du jeu que j’avais totalement oublié comme le passage avec Bill ! Je suis désormais encore plus impatient de découvrir The Last of Us Part. II qui semble alterner le passé avec l’histoire de la mère d’Ellie et donc de Marlène, et le futur avec une Ellie qui apparaît vieillie et abîmée. Aura-t-elle gardée son innocence et son humanité ? Les semaines d’attente à venir vont être longues !
Bob Dupneu
Par ailleurs
Rien de particulier cette fois-ci. Pour le plaisir, juste l’interprétation du fameux passage des girafes par Orioto. Allez voir la page Deviant Art d’Orioto !