BOB A LU TÉLÉ START

Il y a un peu plus d’un an et demi, j’avais lu « Presse Start – 40 ans de magazines de jeux vidéo en France« , paru aux éditions Omaké Books. L’ouvrage m’avait vraiment plu, ce que je n’avais pas omis d’écrire ! Le succès commercial a probablement été au rendez-vous, car la boîte de Florent Gorges propose aujourd’hui « Télé Start – 40 ans d’émission de jeux vidéo en France« , dont le titre et l’habillage établissent clairement un rattachement entre les deux livres, même si l’auteur n’est pas le même. Qui est donc à l’origine de ces 368 pages consacrées aux émissions de la jeunesse de Bob ? Nicolas Bonzom, un auteur que je ne connaissais et qui, selon sa page Linked In, est journaliste pour la presse écrite quotidienne dans le Sud de la France. L’auteur se dit lui-même passionné de jeux vidéo et de télévision : un profil idéal pour le thème traité !

On l’aura compris à la lecture du titre, Télé Start propose donc de revenir sur toutes les émissions de télévision – puis sur les chaînes thématiques – qui ont tenté de parler pixels sur le petit écran, ce qui n’a jamais été une mince affaire. La présentation est partiellement chronologique : bien que l’auteur débute le voyage à l’aube des années 80 pour nous ramener dans le temps présent, des ellipses temporaires et des retours en arrière se produisent à plusieurs moments, au gré des thèmes abordés. Je ne suis personnellement pas un grand fan de cette façon de faire, mais elle s’est probablement un peu imposée à l’auteur.

Les premières émissions évoquées apparaissent donc au début des années 80; petit problème : l’auteur n’était pas né à cette époque. L’ouvrage n’en demeure pas moins intéressant, mais le lecteur ressentira malgré tout que les premières pages tiennent plus de l’exposé organisé du fruit des recherches – studieuses certes – de Nicolas Bonzom que d’un témoignage enjoué. C’est un peu dommage, car l’intérêt de ce type d’ouvrage tient autant dans l’enthousiasme nostalgique de l’auteur que dans les informations rassemblées. Mais soyons honnête : avant Micro Kid’s, aucune émission n’était véritablement restée dans les esprits.

Assez vite, Télé Start refuse d’être monomaniaque et de se limiter aux émissions parlant de jeux vidéo stricto sensu; les dessins animés qui en sont issus ainsi que les jeux télévisés qui s’appuient sur cette technologie sont évoqués : Hugo Délire présenté par Karen Cheryl (émission qui a fêté ses 30 ans l’année dernière !), mais également certains souvenirs enfouis dont j’avais oublié les noms, mais pas l’existence : Le Chevalier du Labyrinthe, Télé Tennis ou encore Pizza Rollo (voir vidéo ci-dessous). A l’époque de ces émissions, Bob était encore un petit garçon plein de rêves, et c’est incroyable de constater que toutes ces émissions – qui pour la plupart n’ont existé qu’un temps assez court – ont pu laisser tant de souvenirs dans ma petite cervelle encore malléable. Quoiqu’il en soit, le livre commence avec ce chapitre a remplir son rôle de capsule temporelle !

En parlant d’émission culte qui n’a pas duré si longtemps au final, le livre ne pouvait pas ignorer Télévisator 2, dont le légendaire Crevette parle encore avec plaisir aujourd’hui. Tout un chapitre est d’ailleurs consacré audit Crevette – connu par les fans de voitures sur le pseudonyme Cyril Drevet – tant le personnage se situe à cheval entre les deux mondes rassemblés dans l’ouvrage. Le parcours de Crevette est également assez représentatif de l’évolution des émissions consacrées au microcosme vidéoludique : s’adressant initialement aux enfants, ces émissions ont évolué avec leur public pour parler aux adolescents puis aux ludophiles adultes, passant de chaînes très grand public à des canaux plus spécialisés. On atteint là le plus gros reproche que je formule concernant Télé Start : Nicolas Bonzom a effectué un beau travail de compilation, qui tourne parfois à l’inventaire notamment dans les parties consacrées aux dessins animés, et s’est appliqué à présenter les éléments techniques propres à la télévision, le tout appuyé par des témoignages d’acteurs de ces émissions, mais aucune problématique, aucune analyse un peu plus poussée ne ressort de l’ouvrage. Il s’agit là d’une tare que je retrouve dans beaucoup trop d’ouvrages consacrés à notre média, qui se contente d’effectuer un travail de mémoire sans jamais aller au fond des choses, excepté parfois sur des questions purement techniques. C’est d’autant plus dommage pour Télé Start que l’auteur a rassemblé un grand nombre d’informations qu’il aurait pu, journaliste de métier, analyser un peu plus finement. M’enfin, profitons malgré tout du générique de Matt Murdock !

Après avoir évoqué DK TV et Cléo, autres madeleines de Proust, l’ouvrage s’intéresse fort logiquement à l’émergence du satellite et des chaînes thématiques à la fin des années 90. Bob doit vous avouer avoir été à cette époque un nanti : Bob Sénior étant accroc à la télé, il été parmi les premiers clients de Canal Satellite. J’ai donc fait parti des élus qui ont connu C: (chaîne sur laquelle j’ai découvert Neon Genesis Evangelion, en VOSTF dès 1997 !) puis Game One dès le jour de son lancement, alors que la chaîne était encore bilingue ! Et pour couronner le tout, j’étais abonné Free lorsque Nolife a commencé son aventure… Je n’ai donc rien raté des vingt années qu’aborde le livre à cette étape ! A commencer par les publicités « cultes » dont l’ouvrage dresse une liste sélective.

Une fois évoquées les émissions éparpillées sur le câble et le satellite, il apparaît logique dans cette dernière ligne droite de s’intéresser à Game One, chaîne thématique majeure dans notre microcosme, qui fêtera ses 25 ans cette année (sur une période de 40 ans, ça commence à compter !). Commence alors le chapitre le plus décevant de l’ouvrage : alors que Game One a une histoire riche d’un quart de siècle et que son évolution pendant toutes ces années témoigne de grands changements dans la place du jeu vidéo dans notre société, Nicolas Bonzom a choisi de se limiter aux premières années de la chaîne, de sa création au départ des membres fondateurs suite à la « prise de pouvoir » d’Infogrames. Un psychodrame typique de notre microcosme (voir « par ailleurs » au pied de ce post), qui n’a pas empêché la chaîne de survivre et de se réinventer. Du coup, et étonnamment, Télé Start fait complétement l’impasse sur plusieurs périodes de la chaîne, qui rythme indirectement la sphère vidéoludique française depuis le début des années 2000 et dont l’évolution est un témoin précieux de celle du jeu vidéo et de ses adeptes. Julien Tellouck – taulier de la chaîne et animateur sans interruption depuis plus de 20 ans – n’est évoqué que dans un paragraphe de sept lignes, tandis que plusieurs animateurs/journalistes marquants sont tout simplement ignorés. C’est d’autant plus surprenant que quelques pages plus tôt, l’ouvrage consacre plusieurs pages et une interview à Chine Lanzmann ou Guillaume Stanczyk…

L’auteur a-t-il une dent contre Game One ou un autre événement explique-t-il ce défaut de traitement ? Quoiqu’il en soit, passé la surprise de ce chapitre amputé, le vieux Bob n’a pu s’empêcher de penser que Télé Start manquait ainsi l’occasion d’approfondir un peu son propos : durant plus de deux décennies, Game One a évolué, ses animateurs issus de la presse écrite (Marcus, El Didou, Gia), étant remplacé par des animateurs de télévision (Yannick, Yohann et Gérard sur Level One) ou des chargés en communication (Juliette et Tommy François) puis par des figures de l’E-sport (Gen1us, Kythis et Kayane), profils révélateurs de différentes époques et orientations de la chaîne, au même titre que l’évolution des émissions et formats proposés. Une observation plus poussée, et éventuellement un comparatif avec la décennie Nolife, aurait sûrement permis de révéler des éléments intéressants et de mener quelques réflexions utiles sur notre média.

Mais, las, ce choix n’a pas été fait. Manque de temps, de place, d’envie ? Quoiqu’il en soit, après Game One, l’ouvrage s’intéresse à Nolife. Le traitement couvre toute la période de la chaîne, et s’intéresse un peu plus à ses acteurs, dont plusieurs ont déjà fait parler d’eux plus tôt dans l’ouvrage. Malheureusement, là encore, point d’analyse ou de mise en relief. Il aurait pourtant été intéressant de s’interroger sur la différence de public – et donc de traitement – entre Nolife, Game One et MGG TV (anciennement ES1) évoquée en fin d’ouvrage. Car si Nicolas Bonzom s’est intéressé aux problématiques techniques et financières des émissions de jeux vidéo en France, il ne s’est pas penché sur tous les enjeux sociaux, alors même que la télévision est, a toujours été et sera toujours, un formidable miroir social et temporel.

Vous comprendrez donc que Bob a au final un avis un peu mitigé sur Télé Start – 40 ans d’émissions de jeux vidéo en France. Si l’ouvrage propose un travail de mémoire et de compilation intéressant, il manque parfois de l’enthousiasme nostalgique du témoin direct. Et, en refusant de l’analyser, il passe un peu à côté de son sujet et paraît au final assez vain. Télé Start mériterait une V.2 dans laquelle son auteur consentirait à l’effort d’analyse qu’il semble avoir refusé. C’est dommage.

Bob Dupneu

Par ailleurs

Gamekult, c’est fini. Enfin, ce qui faisait la spécificité du site en tout cas. Racheté par Reworld Media, le site semble condamné à devenir une poubelle à clic comme jeuxvideo.com ou tant d’autres (même un classique comme Kotaku y est passé en 2019…). Conséquence – classique dans la sphère vidéoludique – la rédaction a annoncé son départ, et le nouveau propriétaire l’a « dispensé » d’effectuer ses derniers jours de travail, sans doute pour éviter que l’équipe ne soit tentée par un petit baroud d’honneur.

Des rédactions qui claquent la porte après un rachat, il y en a eu dans la presse vidéoludique. Mais la fin de Gamekult marque la fin d’une époque, et probablement le début de la fin de la presse vidéoludique. Sur le Net, il n’y a plus d’acteur indépendant pour traiter de sujets de fonds ou monter des dossiers complexes. Et ne vous leurrez pas : ce type de travail demande du temps et de l’investissement, ce qui exclut de fait que le flambeau soit repris par des amateurs qui ont un travail à côté, même par des gens aussi doués que Bob.

Concernant la presse papier, seuls subsistent Canard PC (20 ans cette année) et JV le Mag (10 ans cette année) pour proposer un travail de qualité (et encore, je trouve que le niveau de JV le Mag a baissé depuis 2-3 ans, et que la rédaction laisse un peu trop baver ses idées politiques). Mais les deux magazines sont de longue date dans des situations financières assez fragiles, dans un contexte de grande difficulté pour la presse écrite.

Il y a 10 ans, presque jour pour jour, lors de la disparition de Consoles +, j’affirmais que la presse vidéoludique n’était pas morte. Une décennie m’aura donné raison. Je ne serai pas aussi affirmatif aujourd’hui. Car si il y a 10 ans j’étais persuadé que le public pour une presse vidéoludique de qualité était toujours présent en nombre, je n’en suis plus si sûr. Le joueur des années 2020 semble se contenter des vidéos sponsorisées sur la Toile et se désintéresser complétement de ce qui se passe en coulisse. Terminons sur une note optimiste : enfin, après un demi-siècle d’existence, le jeu vidéo n’a plus rien d’anormal et s’est imposé dans la société. C’est devenu un bien courant, consommé sans hésitation par des millions de veaux sans cerveau. Et Bob est devenu un vieux con, qui a résilié son abonnement à Gamekult.

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